Revue 2009 / Livres international : Droits et libertés
Sur la scène internationale, 2009 aura été marquée par des incidents montrant bien qu’on ne peut toujours pas tenir pour acquise la liberté d’expression des créateurs.
Ce sont quelques petits mots qui ont fait grand bruit. En appelant Marie NDiaye, récipiendaire du Goncourt 2009, à "un devoir de réserve", le député français de droite Éric Raoult a fait trembler l’Hexagone intellectuel. Qu’avait-elle donc fait de mal, l’auteure de Trois femmes puissantes? Eh bien dans une entrevue accordée au magazine Les Inrockuptibles, en août (donc avant l’attribution du prix), elle avait qualifié de "monstrueuse" la France de Nicolas Sarkozy et expliqué avoir décidé en bonne partie à cause de lui, après son élection en 2007, de s’installer à Berlin avec son conjoint et leurs trois enfants.
Raoult, qui a lu le papier deux mois après sa parution, l’a avalé de travers et a aussitôt adressé au ministre de la Culture français Frédéric Mitterrand une lettre absurde, lui enjoignant de dire aux "primés" de bien se tenir. "Une personnalité qui défend les couleurs littéraires de la France, écrivait-il, se doit de faire preuve d’un certain respect à l’égard de nos institutions."
Si l’épisode révèle surtout l’étroitesse d’esprit d’un élu confondant tout, il ne peut être pris à la légère puisqu’un réel débat a suivi, les réactions des uns et des autres montrant bien qu’on ne s’entend pas sur la notion de liberté d’expression, à commencer par la réaction du ministre lui-même, qui s’est borné à dire que Raoult "a le droit, en tant que citoyen, voire en tant que parlementaire, de dire ce qu’il pense".
Ironie superbe, il s’agit là du même Frédéric Mitterrand qui, plus tôt cette année, avait dû défendre sa propre liberté de créateur après qu’on lui eut reproché des passages de son récit autobiographique La Mauvaise Vie (Robert Laffont, 2005), dans lesquels certains ont vu la preuve de sa pratique du tourisme sexuel, voire de sa pédophilie.
Au même moment, en Italie, l’écrivain Antonio Tabucchi est traîné en justice par le président du Sénat, Renato Schifani, qui lui reproche d’avoir fait paraître en mai dernier dans L’Unita, un journal qui, lui, n’est pas poursuivi, un article mettant en question ses relations d’affaires et ses fréquentations douteuses. L’auteur de Tristano meurt, poursuivi pour (n’ajustez pas votre appareil) 1,3 million d’euros, reçoit actuellement le soutien d’écrivains de partout par le biais d’une grande pétition (que l’on trouvera facilement en tapant, dans un moteur de recherche, "Nous soutenons Antonio Tabucchi").
Devant ces dérives, on se pince. Sommes-nous bien en 2009, en Occident? Puis on se retrousse les manches et on le redit: non seulement les écrivains ont-ils le droit de critiquer leur société haut et fort, mais c’est exactement ce qu’on leur demande: brasser un peu la cage, empêcher que la pensée ne s’engourdisse, ne s’enlise, ne se conforme.
TOP 5 LIVRES INTERNATIONAL /
1. Exit le fantôme, de Philip Roth (Gallimard)
La conclusion du cycle de "Nathan Zuckerman" est une merveille de style, de lucidité, d’humanité.
2. D’autres vies que la mienne, d’Emmanuel Carrère (P.O.L.)
Dans un livre courageux, difficile mais irrésistible, Carrère nous redit toute l’importance de cultiver ses idéaux.
3. Trois femmes puissantes, de Marie NDiaye (Gallimard)
Avec une grande finesse, NDiaye explore les rapports entre forts et faibles, hommes et femmes, nantis et pauvres, Blancs et Noirs.
4. La Vie d’un homme inconnu, d’Andreï Makine (Seuil)
Makine signe l’un de ses meilleurs livres, qui met en parallèle la Russie d’hier et celle d’aujourd’hui.
5. Le Voyage de l’éléphant, de José Saramago (Seuil)
Avec l’histoire de Salomon, cet éléphant qui traverse l’Europe du 16e siècle, l’écrivain portugais fait la preuve qu’à 87 ans, il est loin d’être tombé dans ses bottes.