Revue 2009 / Livres Québec : Courant électronique
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Revue 2009 / Livres Québec : Courant électronique

Durant les 12 derniers mois, le Québec littéraire est passé par toute la gamme des émotions. Et s’est mis à réfléchir sérieusement aux nouvelles formes que s’apprête à prendre le livre…

Impossible, en cette période de bilan 2009, de faire abstraction de celui qui est sur toutes les lèvres: le livre électronique. Pas qu’il nous ait envahi à proprement parler – on en aperçoit bien un de temps à autre dans le métro ou au café, mais on est encore loin de la déferlante iPod, vous en conviendrez. Non, la courbe des ventes a beau pointer vers le haut, principalement aux États-Unis, c’est surtout dans les réflexions et discussions que le livre électronique est présent.

C’est qu’il pose, ce bidule, toute la problématique de la numérisation du savoir, de la nécessité de prendre garde, en la matière, à l’appétit des mastodontes tels Amazon ou Google, des droits d’auteur à l’ère des formats impalpables, de la nécessité pour les bibliothèques d’envisager, à court terme, le prêt d’oeuvres en version numérique…

Au Québec, le phénomène est indissociable de la notion de diversité culturelle. D’ailleurs, grâce au travail de l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL), instigatrice d’un agrégateur de livres numériques développé par la compagnie De Marque, les joueurs du milieu de l’édition québécoise sont de plus en plus conscients de l’importance de demeurer pleinement propriétaires des inventaires jusque dans le champ du numérique.

Derrière l’écran

En août, le Groupe Archambault créait Jelis.ca, présenté comme le premier détaillant de livres numériques francophones en Amérique du Nord. En octobre, l’UQÀM était l’hôte d’Assises internationales de l’imprimé et du livre électronique. Quelques semaines plus tard, Montréal accueillait le 1er Congrès des milieux documentaires du Québec, lequel avait pour thème "Investir le monde numérique" et soulignait combien les acteurs du milieu étaient responsables "d’intégrer ces nouvelles formes de représentation des savoirs dans leur pratique et dans leurs services", pour reprendre les mots de la présidente de l’événement, Guylaine Beaudry. Pas de doute, ça bouge.

Pendant ce temps, les lecteurs reluquent avec un intérêt modéré du côté des modèles de liseuses – le terme est en train de s’imposer – déjà sur le marché. Le Kindle d’Amazon, le Reader de Sony, bientôt la "tablette" d’Apple… Chose certaine, l’outil parfait n’est pas encore en circulation. Ze bébelle, ergonomique autant que performante. Qui, entre nous, aura sans doute la forme du papier électronique: quand on pourra rouler son "papiel", écran souple à tout faire, dans la poche de sa veste, l’enthousiasme risque fort d’être au rendez-vous (avis aux sceptiques: les prototypes sont déjà très avancés).

En parallèle, et c’est sans doute là que se joue, pour la littérature, le plus intéressant, on réfléchit de plus en plus aux possibilités hypertextuelles de ces nouvelles technologies. Dans un excellent dossier sur le livre électronique publié par le magazine Entre les lignes (vol. 6, no 2, actuellement en kiosque), l’écrivain et professeur Bertrand Gervais explique que l’oeuvre numérique permet en outre "d’échapper à la contrainte fondamentale du livre papier: la linéarité".

À la vie, à la mort

Il ne faudrait pas qu’il éclipse tout le reste, ce livre électronique. Tellement d’autres choses ont marqué l’année. Faute d’espace, mentionnons un ou deux souvenirs à chaque bout du spectre de l’émotion.

Versant bonheur, d’abord, il y a ces prix qui nous ont réjouis presque autant que leurs récipiendaires. Je pense évidemment à Dany Laferrière, dont L’Énigme du retour (Boréal au Québec, Grasset en France) lui a valu le Grand Prix du livre de Montréal et, trompettes s’il vous plaît, le fameux Médicis, l’un des quatre principaux prix littéraires de l’Hexagone. Je pense également à Catherine Lalonde, dont le recueil de poèmes Corps étranger (Québec Amérique) a remporté un prix Émile-Nelligan partout applaudi, ou encore à Harvey (La Pastèque), le roman graphique d’Hervé Bouchard et Janice Nadeau, premier livre de l’histoire du Prix du Gouverneur général à rafler la distinction dans deux catégories (Littérature jeunesse/texte et Littérature jeunesse/illustrations).

Puis il y a eu les moments noirs. Plusieurs disparitions notamment, dont celles du poète Réjean Thomas (le 24 août), du romancier et nouvelliste Pierre Manseau (le 14 septembre), et bien sûr celle de Nelly Arcan, qui s’est enlevé la vie le 24 septembre, laissant dans l’hébétude toute une génération d’écrivains. R.I.P.

Mais au moment d’entrer dans une nouvelle décennie littéraire, laissons-nous sur quelques mots de Gilles Marcotte, tirés de son récent essai La littérature est inutile (Boréal). L’écrivain et critique nous dit combien cette dernière "nous apprend à lire dans le monde ce que, précisément, les discours dominants écartent avec toute l’énergie dont ils sont capables: la complexité, l’infinie complexité de l’aventure humaine".

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TOP 5 LIVRES QUEBEC /

1- L’Énigme du retour, de Dany Laferrière (Boréal)

En ouvrant comme jamais la sphère de l’intime, Laferrière nous a donné son livre le plus universel.

2- Le Cafard, de Rawi Hage (Alto)

Celui qui avait renversé le milieu littéraire avec son Parfum de poussière a fait la preuve, avec son très métaphorique deuxième roman, qu’il n’y avait pas eu erreur sur la personne.

3- Cette année s’envole ma jeunesse, de Jean-François Beauchemin (Québec Amérique)

Patiente, lucide, au plus près des émotions premières de l’existence, l’oeuvre de Beauchemin est sans conteste l’une des plus accomplies de notre littérature.

4- L’Amour des objets, de Martine Audet (L’Hexagone)

La poésie déploie parfois ses ailes en toute liberté, sans pour autant renoncer au monde physique. C’est ici le cas.

5- Âmes en peine au paradis perdu, d’Hélène Rioux (XYZ)

Le deuxième volet des "Fragments du monde" est une immense fête de l’intelligence et du langage.