Annie Cloutier : Renaître de ses cendres

L’ado troublée qu’était Annie Cloutier à la fin des années 80, celle qui partait étudier en Allemagne avec au ventre les blues propres à son âge, était loin de se douter qu’elle tirerait un jour un livre de cet épisode. "En fait, il n’y a qu’un personnage qui soit très près de la réalité, précise-t-elle aujourd’hui, c’est celui de Jutte, la mère d’accueil. Les autres sont essentiellement fictifs. Mais le cadre, lui, est bien réel. J’ai en effet participé à un échange étudiant, en 1989, j’ai vécu quelque temps à Norderstedt, en banlieue de Hambourg."

Au terme d’une lente macération, durant laquelle fiction et réalité se sont mêlées, deux personnages féminins ont vu le jour, une mère et sa fille, dont les vies subiront l’électrochoc de deux événements marquants de l’histoire récente. Annie Cloutier est consciente du risque que représentait l’écriture d’un livre autour des dates symboliquement très lourdes que sont la chute du mur de Berlin et le 11 septembre 2001, mais ces événements ont d’abord valeur de symboles, et s’il est question ici de choses qui s’érigent et s’effondrent, c’est davantage du côté de la personnalité, de la confiance en soi. "Je voulais parler de ceux qui reçoivent ces événements, qui les vivent mais de loin, tout en étant préservés. Je m’intéresse d’abord à ce qui fait qu’on tient le coup, comme personne, qu’on arrive à traverser la vie malgré tout."

Les mécanismes du roman

En parallèle de ses chantiers d’écriture, Annie Cloutier mène des études en sociologie. Un outil supplémentaire pour la romancière? "Ça ne m’aide pas tant pour créer mes personnages que sur le plan des concepts. Dans La Chute du mur, on peut reconnaître le concept du malheur, par exemple, qui est actuellement beaucoup étudié en sociologie. Dans ce que l’on appelle la postmodernité, les gens ressentent très fort le besoin de se mettre en valeur, de raconter ce qui a été difficile pour eux. Des outils comme Facebook les encouragent à le faire, d’ailleurs. Cette notion, avec laquelle je me suis familiarisée dans mes cours de sociologie, m’a parfois permis de mieux comprendre ce que j’étais en train de faire en écriture, entre autres avec le personnage de Liv, qui finira par renoncer à son "histoire de malheur"."

Si elle jette un regard d’expert sur certains mécanismes de son roman, la source première demeure brouillée. "Je ne me souviens pas de ce qui m’a mise sur la piste, j’ai beaucoup de mal à voir clair dans la genèse d’un projet littéraire, mais ce qui est sûr, c’est que c’est venu très naturellement. L’écriture de ce livre m’a d’ailleurs paru beaucoup plus facile que l’écriture du premier. J’avais besoin de revenir sur certains sentiments, certaines expériences, et si l’histoire est en bout de ligne très romancée, l’émotion, elle, est authentique."

La Chute du mur
d’Annie Cloutier
Éd. Triptyque, 2010, 288 p.

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LA CHUTE DU MUR

1989. Liv, une jeune Québécoise venue étudier en Allemagne, vivra de près la chute du mur de Berlin. Douze ans plus tard, sa fille Sabine voit s’effondrer les tours du World Trade Center. Prétextes davantage que sujets d’étude, ces deux événements majeurs fournissent à Annie Cloutier l’occasion de montrer les échos dans la petite histoire des grands bouleversements historiques. Mais c’est d’abord de relation mère-fille qu’il sera question dans ce roman, des errements de la pensée adolescente, de la rupture en amitié, des amours qui se font et se défont. Vaste programme, oui, et si l’ensemble manque parfois un peu d’amplitude, si l’auteure aurait intérêt à moins céder à la tentation de l’anecdote, on salue sa capacité à donner corps aux personnages, son sens du détail qui en dit long, et on se promet de la suivre de près.