Festival Voix d'Amériques : L'eau à la bouche
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Festival Voix d’Amériques : L’eau à la bouche

Sur deux scènes et huit jours, une flopée d’artistes pluridisciplinaires jouent les délinquants et livrent, dare-dare et à haute voix, de la poésie en veux-tu, en v’là! Hétéroclite et outrancier, le Festival Voix d’Amériques, neuvième, fait encore dans l’éclatement des genres.

"Ce n’est pas mon boulot de faire ce que les gens veulent." On est prévenu, Ursula Rucker n’est pas là où on l’attend. Du moins sera-t-elle sur la scène de la Sala Rossa le 5 février. Pour le reste, il faudra, fébrile, compter parmi la foule des spectateurs pour redécouvrir la reine du spoken word américaine, invitée d’honneur de la 9e édition du FVA. Objet insaisissable et toujours nouveau, à l’image de ce festival "tellement chaud et invitant au coeur de l’hiver", la chanteuse-poète et militante par le biais remonte sur nos planches après un passage déjà mémorable en 2004. On viendra donc à la messe, se laisser porter par sa verve, où il est question, au gré de l’inspiration, de la condition des femmes, de la grandeur de la nature ou de nos maux.

"Je ne crois pas que le message soit une fin en soi, mais nous avons en tant qu’artistes une responsabilité envers le public", explique celle qu’on dit féministe pour ce qu’elle représente dans le milieu, ultramacho, du hip-hop. Poète avant tout, et concernée, elle aura, "parce qu’il fallait choisir et pour rester connectée à la réalité", obtenu un diplôme en journalisme avant sa carrière musicale. Mais c’est aux mots qu’elle revient sans cesse, ceux qu’elle livre, avec une voix tour à tour sensuelle et rauque, portée par leur musique: "Même sans comprendre tout d’une langue, on peut sentir, par l’intonation, le rythme, l’essence du discours."

Le reste est presque question de transe, à tel point que l’artiste, qu’on verra ici en solo ou en duo avec Alexis O’Hara, se laisse elle-même surprendre. "On devrait toujours faire de nouvelles choses, sinon c’est l’ennui."

MELANGE DES GENRES

Frayant parmi les genres, le FVA nous balade à coups de ritournelles – du fond du bois avec Fred Fortin, du dandy acoustique avec Chinatown, du folk intime avec Krista Muir ou Ève Cournoyer, de l’étrange avec Dynamo Coleoptera -; nous décroche la lune avec Sky de Sela, tombée du ciel pour nous donner sa parole de clown; nous entraîne au coeur du mythe et sur la piste du phénix avec Benu, fable magique de la performeuse d’bi.young, sur la scène de La Chapelle; nous donne à entendre des voix de femmes aux prises avec des animaux intérieurs Dans la forêt. "La poésie draine souvent le même public. Le FVA est important parce qu’il permet des mélanges: anglos, francos, amateurs ou véritables passionnés, fans de musique, de théâtre ou de poésie", note l’auteur prolifique et un brin dada Marc-Antoine K Phaneuf, qui participe pour une troisième année consécutive. Convié à un 5 à 7 band + poésie délicieusement régressif sur le thème de la poésie d’adolescence (Music for Money, le 8 février), il nous lira une prose tout droit sortie de vieux calepins, "des textes totalement ringards" clamés sur un mode, on s’en doute, humoristique. "C’est pire que dans mes souvenirs", dira l’intéressé pour nous tenir en haleine, avant de nous causer de l’importance de la théâtralité dans la performance, et d’un prochain projet d’édition entourant la vie rêvée du colonel Sanders.

JUSQU’AU BOUT DE LA NUIT

De la poésie sous tous les angles, et à toute heure puisque l’événement poursuit ses Shifts de nuit, où l’on viendra entendre la prose des autres et clamer ses propres vers jusqu’au bout de la nuit, "parce qu’on ne veut pas que la soirée se termine". L’occasion, entre autres choses, de (re)découvrir l’art du slam, ou le verbe comme une musique. Sacré champion québécois de la discipline en 2007, Jean-Sébastien Larouche sera de ceux qui se produiront dans l’intimité tardive de la Casa del Popolo. Pas une première pour ce poète qui a frayé avec Loco Locass, publié plusieurs recueils et créé la maison d’édition indépendante Écrou, "un parti pris pour la parole, sans a priori, pour la poésie orale ou non, quelle qu’en soit la langue". Sur scène, le poète balance, sur un rythme nerveux, toute la charge d’un texte aux accents revendicateurs: "Ferme ta gueule!" se lance-t-il à lui-même, nous laissant pantois. www.fva.ca