Pascal Girard : Rançon de la gloire
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Pascal Girard : Rançon de la gloire

Après des débuts remarqués sous le signe de l’autofiction, Pascal Girard signe un premier récit de fiction en BD dans lequel il dissèque l’angoisse adolescente à l’ère de YouTube.

Jimmy et le bigfoot, c’est un peu le récit de la cruauté ordinaire. Dans un coin du Saguenay que Pascal Girard ne nomme pas, "mais que tous ceux qui ont déjà fréquenté l’endroit reconnaîtront comme étant Jonquière", indique-t-il, Jimmy vit un drame rendu tristement banal par l’époque.

Son ami Simon, plutôt inconscient, a eu la géniale idée de placer une vidéo de Jimmy qui danse, seul, sur le site de partage de fichiers vidéo YouTube. Quelque 956 932 visionnements plus tard, celui qu’on surnomme le Jimmy-dansant ne peut plus sortir de chez lui sans être l’objet de plaisanteries. Y compris de la part de la vieille caissière au dépanneur du coin.

Tandis que Jimmy subit le regard moqueur de son entourage, son oncle un peu trop enthousiaste, convaincu qu’il a croisé dans les bois une sorte de yéti, alerte les médias.

En trame de fond, il y a Jolène, que Jimmy aime secrètement, et dont il mate les photos sur Facebook.

"Quand j’étais au secondaire, il y a eu une véritable histoire de bigfoot dans le parc des Monts-Valin", se souvient l’auteur originaire du Saguenay et maintenant déménagé à Québec qui, fasciné par l’histoire, avait alors conservé les coupures de presse relatant la prétendue découverte. "Puis il y a aussi l’histoire du Star Wars Kid qui m’a évidemment inspiré celle du Jimmy-dansant", ajoute celui qui signe aussi les dessins de Jeunauteur, une BD de blagues en format strip écrite par Stéphane Dompierre.

Ces deux anecdotes médiatiques ont conduit à ce scénario où la finesse du détail du quotidien répond à l’évolution flagrante du dessin de Girard, autrefois connu pour l’extrême simplicité de son trait et l’absence de décor.

"Tout le monde pensait au début que je faisais des trucs minimalistes parce que je résumais, mais c’était pas tout à fait ça. En fait, je ne dessinais vraiment pas avant de faire de la bande dessinée, alors comme je n’avais jamais fait des maisons ou des voitures avant, j’allais pas me risquer à en faire dans des livres", avoue celui qui, jusqu’à récemment, gagnait sa vie comme ferblantier dans la construction après avoir obtenu un bac en arts, orienté vers le cinéma.

"C’est peut-être parce que ça ne fait pas longtemps que je fais ça et que je ne suis pas assez mature, mais je travaille toujours en réaction au dernier livre que j’ai fait. Là, je venais de faire Paresse, qui est du strip, que je faisais au pinceau, qui est très léger. Avant, j’ai fait Nicolas, qui est plus sérieux (ndj: il y raconte la mort de son frère qui souffrait d’acidose lactique). "

Oscillant entre l’incertitude chronique et la volonté d’aller ailleurs, Girard laisse heureusement sa témérité l’emporter.

"Je vois mes faiblesses, je me tends des pièges pour essayer autre chose, et si je me plante, tant pis", laisse-t-il tomber, quelque part entre l’effronterie et le fatalisme.

Jimmy et le bigfoot
Pascal Girard
Éd. La Pastèque, 2010, 48 p.

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LE BEAT DE L’ENNUI

Il y a beaucoup du Paul de Rabagliati dans le Jimmy de Pascal Girard. Pas vraiment dans le trait ni même dans le scénario, mais dans la volonté du créateur de camper un récit réaliste, en apparence banal, dans un décor et une époque familiers. Ici, le Saguenay, maintenant. Rendant à merveille l’angoisse adolescente, Girard fait graviter ses personnages autour du brillant astre des médias (ils s’y brûleront) en esquivant toute morale excessive. Au contraire, l’auteur prend plaisir à exploiter les défauts de ses protagonistes, à les laisser s’empêtrer dans leurs dérives, leurs délires, et s’il ne réinvente pas les codes graphiques du genre, sa maîtrise lui permet de rythmer assez efficacement son ouvrage pour qu’on y perçoive le profond ennui des protagonistes sans jamais le ressentir. C’est fort.

Jimmy et le bigfoot
Jimmy et le bigfoot
Pascal Girard
La Pastèque