Sébastien Ricard : Poste restante

Ces lettres figurent parmi les plus célèbres de la littérature, trônant aux côtés de celles de Verlaine et de Rimbaud. Tombées là, dans le domaine public, sans y avoir été destinées puisqu’elles ont été écrites entre 1903 et 1908 par le poète Rainer Maria Rilke à un jeune homme qu’il ne connaissait pas, Franz Xaver Kappus. Le jeune cadet, promis à une carrière militaire mais se sentant l’âme d’un poète, sollicitait l’avis du maître qui lui (dé)livrera, lettre après lettre, une véritable leçon de vie en 10 actes. Au programme: authenticité dans le rapport à la création, refus des règles établies, acceptation de la solitude de l’âme comme prémisse à l’inspiration. Publiées en 1929, les missives au contenu parfois didactique constituent depuis une source inépuisable d’inspiration pour des générations de jeunes lecteurs en proie au doute.

"Ce livre a transformé ma vie", va jusqu’à dire Sébastien Ricard, qui lira, pour le public du Studio littéraire de la Place des Arts, la presque totalité de l’ouvrage. "Je l’ai lu à l’adolescence une première fois, puis j’y suis revenu après l’École nationale de théâtre. Mais ce n’est qu’aujourd’hui que je réalise à quel point il a été déterminant pour moi. Il reste une empreinte de Rilke dans mes choix de vie." Et de citer, de mémoire, un passage dans lequel l’auteur conseille au jeune poète de préférer pour sa prose, aux vertiges de l’amour, les petites choses qui l’entourent. "C’est un bel enseignement. Quand on débute, on est épris de tout ce qui a déjà été écrit d’extraordinaire, on voudrait parler de Paris dans ses poèmes, d’amour fou. Mais il faut s’attarder aux objets de son quotidien, s’intéresser même à son ennui."

Aimez vos souffrances

Comment donner corps à un texte aussi connu, et déjà lu par de nombreux grands artistes (Niels Arestrup, entre autres)? "Ça se lit bien, lance le chanteur des Loco Locass, grâce à l’admirable simplicité du texte. Je tiens à ne pas dévier du sens, Rainer Maria Rilke traitant de manière si délicate de la vérité et de la sincérité." De solitude, aussi, morale. "Je travaille actuellement sur un texte de Koltès, La Nuit juste avant les forêts. J’y trouve aussi cette solitude comme élément central, essentiel. Et puis on retrouve cette notion chez Nietzsche, que connaissait Rilke, l’idée d’exercer son rapport au monde dans la solitude. Aimez vos souffrances, aimez tout ce qui vous arrive, faites-les vôtres pour en faire écho."

Sébastien Ricard ne dément pas la "charge idéaliste" du texte, ni sa puissance littéraire: "Écouter lire ce texte nous plonge dans un état méditatif, zen. Ces lettres résonnent comme un mantra", dit-il. "Je m’entraîne beaucoup à le lire à voix haute, le défi étant d’éviter le ton monocorde, de rentrer dans les lettres à la manière de Rilke, puis de laisser partir le texte." Il restera donc au public à s’en emparer, l’oeuvre contenant différents niveaux de lecture: "C’est vrai que le texte trouve un écho particulier chez les artistes, notamment l’épreuve quotidienne, qui est la nôtre, de résister à la pression du plus grand nombre. Mais il contient de nombreux passages qui n’ont rien à voir avec la création. Rilke y parle religion, par exemple, et délivre, avant leur temps, des questions fondamentales, sur l’existence même de Dieu." Le lecteur ajoute: "Il n’y a donc rien à retrancher dans ces lettres, elles sont pleines et entières."

Le 15 février
À la Cinquième Salle de la Place des Arts
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