Josée Bilodeau : Points de rupture
Josée Bilodeau poursuit une oeuvre exigeante consacrée aux tréfonds de l’âme humaine. Avec Incertitudes, elle se penche sur l’expérience de la perte, de même que sur l’anticipation tout aussi douloureuse de celle-ci.
Autant les chapitres de son dernier roman, On aurait dit juillet (2008), pouvaient être lus indépendamment à la manière de nouvelles, autant ces Incertitudes, liées entre elles par la parenté du propos et de la voix narrative, nous font parfois oublier que nous n’avons pas affaire à un roman. Il y a là certainement un trait spécifique à l’écriture de Josée Bilodeau, chez qui la composition méticuleuse de chaque portion d’une oeuvre semble aussi fondamentale que cet habile dispositif par lequel elle en perfectionne les liens, unissant ce qui formera, au final, un véritable univers en soi, d’une cohérence et d’une pertinence peu souvent égalées.
Nous sommes d’ailleurs transportés ici dans le monde du perfectionnisme ou de la hantise de la perfection, caractéristique que partagent les différents personnages féminins (et narratrices) des 11 nouvelles de Bilodeau. Épouvantées par la perte hypothétique de l’amour fusionnel qui les alimente ou vivant sur le souvenir de celui qu’elles ont perdu, ces femmes si semblables se démarquent par un sens aigu de l’organisation. Qu’il s’agisse de se laver les mains après être allées au guichet automatique ou de choisir la Suisse comme destination touristique, leurs obsessions trahissent un manque de confiance, un besoin maladif d’avoir une prise sur le réel, de "régner sur l’ordre des choses" au risque d’apparaître aux yeux des autres d’une "inflexibilité déplaisante".
Incertitudes se présente par ailleurs tel un chapelet de brisures et de ruptures, chaque héroïne ayant "l’impression que tout lui échappe". "La télécommande", nouvelle inaugurale du livre, donne parfaitement le ton avec cette histoire d’une jeune femme qui se rend compte le jour même où elle emménage avec son petit ami que celui-ci souffre d’une "incompétence chronique dans le quotidien", annonçant de pénibles lendemains pour "ce "nous" que nous sommes devenus si subitement".
J’avais été séduit par On aurait dit juillet de Bilodeau, roman choral qui mettait en scène une galerie de protagonistes et qui prêtait à une lecture empathique, tout en se révélant un captivant défi romanesque. Le plus souvent centré sur un "je" anxieux, Incertitudes m’est apparu d’une facture plus froide, plus tranchante, avec ses analyses quasi chirurgicales de la psyché féminine. Porté par un style qui se précise et se raffine, ce livre conserve néanmoins le mérite de se consacrer à un trait de caractère fort répandu dans la réalité mais rarement si bien sondé en littérature.
Incertitudes
de Josée Bilodeau
Éd. Québec Amérique, 2010, 129 p.