Biz : Baby blues
Biz revient, dans un récit qui nous fait découvrir un pan tout autre de sa personne et de sa langue, sur la dépression qui l’a aspiré après la naissance de son premier enfant.
Il y a quatre ans, Biz entrait dans ce que l’on présente en général comme la période la plus satisfaisante de l’existence: la paternité. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ça n’a pas été aussi rose pour le gars des Loco Locass. Conjuguée au manque de sommeil et autres petites rançons du statut paternel, il a sombré dans une dépression qui a bien failli foutre sa vie en l’air. Période noire sur laquelle il se penche aujourd’hui à travers Dérives, un récit autofictionnel, oui, mais tiré en grande partie de son expérience.
De Dérives, contrairement à ce que l’on pourrait croire, Biz parle aisément, avec détachement même. "C’est que l’épisode me paraît tellement loin… Je suis complètement sorti de cette dépression. Je dois faire attention à certaines choses, mais c’est bel et bien derrière moi. Sans quoi je n’aurais d’ailleurs pas pu écrire là-dessus, j’imagine."
La détresse d’hier, devenue sujet littéraire, est l’occasion pour le rappeur de réfléchir à l’aspect friable de nos repères. Ce qu’il fait en organisant son texte selon deux registres, l’un collé au quotidien d’un jeune père dépassé par les sentiments, l’autre beaucoup plus métaphorique, où le lit duquel il ne parvient plus à s’extraire devient un radeau, à la dérive sur un inquiétant marais.
"Arrête de faire du rap!"
Tout un défi d’écriture, pour celui qui a l’habitude de croquer un sujet en trois minutes, que de développer un thème sur des pages et des pages. Défi dans lequel Jean Barbe, actuel directeur littéraire chez Leméac, l’a épaulé. "Je dois dire que vers le début du projet, il a mis le pied sur le brake, se souvient Biz. Il m’a dit: "Arrête de faire du rap, laisse tomber les allitérations, ça nous distrait du récit." En rap, il faut aller vers ces effets-là, ils font partie du langage, mais la prose obéit à d’autres codes." Ce qui ne veut pas dire qu’on ne reconnaît pas la patte du Loco Locass. "Eh, on peut sortir un gars du rap, mais on ne peut pas sortir le rap d’un gars!"
On ne peut pas non plus sortir de Biz les causes qui depuis toujours l’animent. Si Dérives porte d’abord et essentiellement sur un sujet intime, l’artiste engagé n’est jamais loin. "En fait, je voulais montrer que la dépression modifie nos rapports avec nos proches, mais aussi notre regard sur certaines situations. Par exemple, à un certain moment, c’est l’enfant qui fait réaliser au narrateur que dans une boulangerie, il n’y a que des nouveaux arrivants qui font le sale boulot. En temps normal, il aurait vigoureusement réagi… Même chose avec la cause souverainiste. Il en arrive à penser que les combattants souverainistes sont des guerriers aigris qui meurent à petit feu ou qui se suicident. Je l’ai déjà vu ainsi, je l’admets, mais plus maintenant. Maintenant je mène cette lutte pour mes enfants, ça relativise tout."
Vous avez bien lu. "Mes enfants." C’est que Biz et sa blonde attendent une petite fille… Inquiétante perspective pour celui qui a déjà eu envie de tordre le cou de la cigogne? "Au contraire, je suis prêt cette fois! En fait, la grande différence, c’est que je ne m’attends pas à un bonheur absolu."
Dérives
de Biz
Éd. Leméac, 2010, 96 p.
DERIVES
Malgré la gravité du sujet, on ne fait qu’une bouchée de ce petit récit. Même qu’on en aurait pris plus, qu’on aurait aimé que soient davantage explorées les raisons profondes de la dépression d’un père, lesquelles ne peuvent se réduire aux nuits en pointillé ou aux chansons, aussi abrutissantes soient-elles, de Shilvi et Annie Brocoli. Sous cet angle, Dérives est un peu court, mais le livre, courageux et porté par un style ultra-vivant, truffé de références à Baudelaire, Aquin ou à la mythologie grecque, est traversé d’une vérité, d’une sensibilité à fleur de verbe qui nous font voir en Biz infiniment plus qu’un artiste à la langue bien pendue. Un écrivain sans doute, que nous suivrons de près.