Johanne Pothier : Cette nuit-là
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Johanne Pothier : Cette nuit-là

Avec le tome 2 de 1779: Trois bêtes à sept têtes, l’auteure Johanne Pothier déterre l’horrible drame qui hante sa famille depuis un peu plus de deux siècles.

Une légende perdure dans la famille Pothier. Une histoire affreuse qui raconte qu’un soir ses ancêtres se seraient fait massacrer par des hommes venus de la mer et qu’un seul garçon aurait survécu au drame. Avec 1779: Trois bêtes à sept têtes, la Trifluvienne Johanne Pothier démêle le vrai du faux.

Rencontrée un matin autour d’un café, l’auteure avoue que c’est un peu par hasard qu’elle a écrit à propos de cette tragédie qui pourtant l’habite depuis l’enfance: "Ma fille était à choisir son projet personnel pour le programme d’éducation international. Elle me disait: "Maman, il y a une légende dans la famille et j’aimerais aller fouiller là-dedans." Comme je savais que sur la terre des Pothier, qui existe encore, il y avait tous les documents notariés depuis 1600 ou 1700, j’ai dit à ma fille qu’on irait voir tante Véronique pour lui demander de nous les prêter. Finalement, ma vieille tante est décédée avant de nous les prêter. Elle me les avait préparés – je les ai maintenant à la maison. Ça a fait que je lui devais ça, il me semble: c’était la mémoire de la famille chez nous."

LA POESIE DE L’HORREUR

Si le premier tome de 1779 mettait la table avec ses nombreux personnages, le deuxième entre rapidement dans le vif du sujet. Il faut d’ailleurs avoir le coeur solide pour passer à travers les premières pages du roman sans verser la moindre larme ou échapper une plainte. Le tableau s’avère quasi insupportable: des femmes battues, violées et tuées, un poupon qui termine sa vie contre un poteau de lit… "Je pense que ça va me hanter tout le temps. Tout le monde me dit: "Ben, voyons, Johanne, ce n’est pas toi qui écris des affaires de même!" confie-t-elle. C’est vrai que c’est affreux comme scène, mais je la voyais. Jamais je ne "garocherais" un bébé dans les airs. Moi aussi, j’ai des enfants! Mais je pense que ça décrit le cri viscéral, jusqu’où ça peut aller quand il nous arrive des choses comme ça, qu’on voit nos enfants se faire massacrer devant nous. Je pense que je trouvais ça pire que de mourir… Il fallait que ça en fasse partie; ce n’était pas du voyeurisme. Des fois, il y a des choses que je suis obligée d’écrire."

Le mot censure n’existe donc pas dans le vocabulaire de l’écrivaine, qui gagne sa vie comme professeure de violon au Conservatoire de musique de Trois-Rivières. "J’avais fait lire un bout du roman à mon fils. Et il m’a dit: "Tu n’es même pas capable d’écrire quelque chose d’épouvantable sans que ça soit poétique." C’est peut-être à cause de ça que je ne me censure pas", pense-t-elle à haute voix. "Je ne pourrais pas écrire un livre d’horreur, exploiter la vengeance de A à Z, non. Par contre, quand ça fait mal, il faut faire quelque chose pour que ça fasse vraiment mal. Je pense qu’il faut le dire comme on le voit. Tu ne peux pas voir cinq membres de ta famille mourir comme ça, sans qu’il n’y ait aucune conséquence pour toi et les générations suivantes."

UNE HISTOIRE

Pour la rédaction de 1779, Johanne Pothier a entre autres fouillé des documents historiques, consulté les Archives nationales et les ouvrages de l’historien Jacques Lacoursière. Elle se défend par contre d’avoir accouché d’un roman historique. "C’est sûr que ça ne s’est vraiment pas passé comme ça. Ce n’est pas une chronique", soutient celle qui s’est gardé la liberté de romancer les faits. L’auteure ajoute aussi avoir conservé une certaine modernité dans l’écriture: "Je me dis que ce n’est pas parce qu’on n’est pas né en 1750 qu’on ne ressent pas la même chose, qu’on n’a pas le même amour pour nos enfants, qu’on n’a pas de désirs même si on est pris dans des moeurs plus strictes. Les sentiments profonds sont les mêmes. Je n’essaye pas de donner de faux sentiments aux personnages d’un faux passé qu’on s’imagine à travers nos faux yeux d’aujourd’hui. Peut-être que je me trompe complètement, mais j’aime bien penser que l’humain a toujours été humain."

1779: Trois bêtes à sept têtes (tome 2)
De Johanne Pothier
Les Éditions de la Bagnole, coll. Parking, 2010, 329 p.