Michel Rabagliati : Lignes d'horizon
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Michel Rabagliati : Lignes d’horizon

Fraîchement récompensé à Angoulême, Michel Rabagliati contemple le travail accompli au fil de six albums, revient à ses premières cases d’enfance et jette un oeil sur une suite plus horizontale…

Le métier de bédéiste, Michel Rabagliati l’a étreint sur le tard. Il n’était pourtant âgé que de 11 ans lorsqu’il s’est prêté pour la première fois à l’exercice de remplir des cases, entre deux BD qu’il dévorait boulimiquement. Mais voilà, les débouchés dans le domaine n’étant pas légion à l’époque, ses parents ont cru bon le diriger vers des horizons plus blindés: les arts graphiques, comme papa. Il roule sa bosse, tient un bureau de graphisme à Montréal, fait de bonnes affaires et développe un esprit de synthèse, de "metteur en scène" hors pair. Le retour vers la BD se fera lorsque la graine d’auteur sera mûre… à l’âge de 38 ans. "J’ai bien fait d’attendre parce que je n’avais rien à raconter dans la vingtaine, j’aurais probablement fait un plagiat de BD qui roulaient dans ces années-là."

Héros sans collant

Ayant suivi ce que la planète BD avait à offrir pendant toutes ces années, il se voit soudain interpellé par la nouvelle vague des années 90: des albums adultes au ton personnel. C’est avec cette approche semi-autobiographique que Michel Rabagliati créera son héros sans collant. Le mot d’ordre? La simplicité en toutes lettres, quatre pour être plus précis: Paul. "J’avais envie de raconter des affaires vraies, des choses vécues qui me remuent moi-même à l’intérieur, puis surtout, je n’avais pas envie de faire de guili-guili aux enfants", tranche Michel Rabagliati, qui cherche à reprendre là où les lecteurs adultes ont arrêté leur lecture dessinée. "Plusieurs amateurs de BD se sont tournés vers le roman après Tintin, car ils n’ont pas trouvé chaussure à leur pied."

Pour la petite histoire, son alter ego aux larges sourcils est apparu par un après-midi peinard, alors que se manifeste une envie irrépressible de dessiner. "Ça s’est fait en une journée. Je suis un peu hyperactif, lance-t-il en éclatant de son rire "carillonnant". Je cherche toujours de quoi m’occuper: je joue du piano, de l’accordéon, je chante dans une chorale… Cet après-midi-là, j’étais à mon atelier sur Saint-Laurent et je m’ennuyais en attendant des réponses de clients. J’ai commencé Paul à la campagne sans scénario, direct sur papier, j’ai improvisé. Je me suis alors rendu compte qu’après avoir lu ces tonnes de bandes dessinées dans mon enfance et mon adolescence, c’était assimilé! Que le langage, le système narratif, je les connaissais bien. Je savais quoi faire pour tenir le lecteur au bout de sa ligne… je ne l’avais juste pas mis en pratique. J’avais tellement accumulé d’information dans ma tête que ça a été facile et fluide. J’avais aussi un personnage que je connaissais."

Lenteur, silences, sourires

À la suite de ce premier album de 24 pages, il mènera son Paul dans de plus amples aventures aux titres évocateurs tels que Paul a un travail d’été (2002), Paul en appartement (2004), Paul à la pêche (2006). Dans son récent Paul à Québec, le plus pénible qu’il ait eu à réaliser, il aborde le deuil: un Paul beaucoup plus effacé voit la famille "tricotée serré" de sa compagne Carole éprouvée par la mort du patriarche. "Je me rends compte que je prends une direction de plus en plus posée, de plus en plus en longueur, horizontale. Paul est moins "livy" qu’au début. Je vais moins vers le comique, il y a plus de sourires que de rires. Maintenant, je me fais confiance. J’ai envie de plus de silences. Je module le rythme de la BD, je laisse la pellicule rouler sur écran, comme au cinéma."

Pour en témoigner, dans ce dernier album, le conteur Rabagliati prend encore plus de place que le dessinateur. "Le roman est toujours près de moi. Si je passe à une autre carrière, je n’irai pas vers la bande dessinée en couleurs ou le dessin animé, mais vers le roman. Ce sera le dessin qui disparaîtra en premier. Je me rends compte que je n’ai pas plus envie de dessiner qu’avant. C’est pas quelque chose qui me gruge, le dessin, comme il peut le faire pour Régis Loisel et Jean-Louis Tripp (Magasin général), des dessinateurs enragés avec qui je partage l’atelier."

Le papa de Paul renchérit: "Dans le processus, j’ai des préoccupations de romancier et non pas de dessinateur. Est-ce que c’est fluide? Est-ce que les émotions arrivent à la bonne place? À la fin du processus exploratoire, je me dis: "Coudonc, il faut que je fasse des dessins!"" Le bédéiste assure cependant que le changement de cap ne sera pas pour demain. Une autre BD est en route: l’auteur à la mémoire phénoménale souhaitait "balayer dans les coins" de son enfance, en fouillant dans ses longues heures de flânerie et de solitude, mais aussi dans ses années de scoutisme.

L’heure n’est donc pas au rangement de crayons pour Michel Rabagliati, qui vient de recevoir une reconnaissance sans précédent de son milieu – lui qui voyait son récent album finaliste au Grand Prix du livre de Montréal aux côtés de romanciers de renom (remporté par Dany Laferrière). Déjà traduit en six langues (anglais, italien, néerlandais, espagnol, allemand, croate), Michel Rabagliati confirmait une fois de plus sa portée universelle en remportant fin janvier, grâce à Paul à Québec, le prestigieux Prix du public Fauve FNAC-SNCF au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême – une première pour un bédéiste québécois. Entourloupette imprévue: le livre n’est pas encore sur les rayons français… Une tournée de libraires se dessine fin mars, pour sauver les meubles, espère-t-on. Or, pour ce qui est du rayonnement at large, c’est déjà dans la poche.

Consultez l’horaire des activités et des séances de dédicace auxquelles prendra part Michel Rabagliati, invité d’honneur bande dessinée, lors du 31e SLO: www.slo.qc.ca

Paul à Québec
de Michel Rabagliati
Éd. de la Pastèque, 187 p.

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Portrait de famille

Michel Rabagliati, à propos de Paul à Québec: "Ça m’a demandé tout mon petit change d’aller jusqu’au bout, parce qu’il fallait que je dessine quelqu’un que j’aime, que je le fasse maigrir et mourir une fois de plus. Fallait que je replonge dans les photos de mon beau-père, dans ce qu’il m’a dit, les notes que j’ai prises en prévision du livre. Ça a été émotivement difficile, mais je suis très content du résultat."

À propos de la lumière qui traverse malgré tout l’album: "Il y a un beau portrait de la famille québécoise type que j’aime voir. Des gens simples avec des moyens bien ordinaires, mais aussi une famille tellement sympathique et fusionnelle. Une famille tellement québécoise… que je n’ai pas connue, la mienne étant éclatée."