Amélie Nothomb : L’hiver de force
Avec la ponctualité d’un coucou suisse, Amélie Nothomb lançait en septembre dernier un 18e livre. Elle était de passage à Montréal la semaine dernière pour échanger avec les journalistes et renouer avec ses nombreux lecteurs. Rencontre.
Avec ses gants rayés rouges, ses Doc Martens, sa robe sombre, son haut-de-forme piqué d’une plume et son minois gothique très Helena Bonham Carter, Amélie Nothomb pourrait donner l’impression de s’être échappée d’un film de Tim Burton… si nous n’étions pas au 19e étage du chic Reine Elizabeth devant une fenêtre avec vue sur une tempête de neige déchaînée.
À la vue du magnétophone, la prolifique écrivaine belge, très vive et allumée, ose une première confession: "Je suis le néant technologique absolu. Je ne possède pas d’ordinateur, pas de cellulaire ni de permis de conduire. J’écris au Bic Cristal bleu. Depuis que je suis best-seller (1999), je peux me permettre de remettre des cahiers à mon éditeur. Avant, j’étais soumise à la loi commune, c’est-à-dire que je devais remettre un tapuscrit; je retapais moi-même l’histoire sur ma vieille machine à écrire et je mettais quatre fois plus de temps à la dactylographier qu’à l’écrire." Alors, pas de copier-coller? Exit tout ce qui facilite la vie d’un écrivain et les retouches dans le texte? "J’ai une conception très fataliste de l’écriture, je me dis que si c’est comme ça, c’est comme ça. Dans la vie, on n’a pas droit aux retouches. Pensez à vos histoires d’amour qui ont foiré, vous ne pouviez pas réécrire la scène." On se dit qu’avec un tel instinct d’écriture… Mais Nothomb parle plutôt d’inconfort et de goût du risque. "Dali portait des chaussures trop petites pour se mettre en état d’inconfort. Pour écrire, j’ai besoin d’être à jeun; la faim induit un état d’esprit différent. Dans De la littérature considérée comme une tauromachie, Michel Leiris dit que l’écrivain doit garder la conscience de la corne de taureau. S’il n’est pas persuadé qu’il risque sa vie en écrivant, c’est que ce n’est pas intéressant. J’écris dans cet état. Ce n’est pas garant du résultat, mais au moins on sait qu’on est du bon côté de l’écriture."
Apprenti terroriste
Dans Le Voyage d’hiver, Zoïle, protagoniste et employé d’Électricité de France, tombe amoureux d’Astrolabe, jolie dame de ses pensées qui vit dans un appartement parisien mal chauffé. Malheureusement pour Zoïle, celle-ci a juré allégeance à Aliénor Malèze, monstre-écrivain neuneu, anormale, handicapée mentale qui ne lâche pas l’autre d’une semelle. Affligé par l’impossibilité d’un rapprochement, l’amoureux transi s’improvise terroriste et s’apprête, au moment où nous lisons Le Voyage d’hiver, à monter à bord d’un avion pour le faire exploser sur la tour Eiffel. Empruntant le style fluide, clair et logique de Nothomb, il rédige un journal "qui n’aura pas le temps d’être lu", posture d’écriture qui donne un élan fébrile à l’histoire. À la fin du livre, le décollage est imminent. On ne saura pas si son plan a abouti. Comment se fait-il qu’on tienne sa confession écrite entre nos mains? Magie de la littérature ou échec du plan initial? "Ma théorie, c’est que son attentat n’a pas fonctionné. Non qu’il y ait renoncé, mais c’est un débutant, les agents de bord vont l’attraper."
Bien que Zoïle ne soit pas spécialement attachant – il pourrait être le quidam anonyme de Magritte -, on n’arrive pas à le détester. "Je fais souvent parler à la première personne des êtres abjects. Je pense que la littérature permet cette formidable occasion de donner la parole au mal. Le thème central de tous mes livres, c’est l’autre. Comment le rapport à l’autre est-il possible et, surtout, quelle est la bonne frontière dans le rapport humain? Comment entrer en communication avec l’autre sans qu’il vous envahisse, vous tue, vous mange…? Mes personnages ont tendance à ne pas s’arrêter, à aller trop loin dans le rapport avec l’autre, l’ultime limite étant l’assassinat."
Le Voyage d’hiver
d’Amélie Nothomb
Éd. Albin Michel, 2009, 133 p.
À lire si vous aimez /
L’apparente simplicité des toiles de Magritte, la ligne claire des Tintin, raisonner par sophismes
La fécondité d’Amélie Nothomb
On reproche parfois à l’écrivaine belge son fulgurant rythme de publication qui nous la ramène, chaque 1er septembre, avec un nouveau livre. Contrainte ou coquetterie? "Ce rythme ne m’est pas imposé par mon éditeur ni par moi-même. Je pourrais publier plus puisque j’écris infiniment plus et que la majorité de ce que j’écris est publiable. C’est devenu un truc qui m’équilibre, aussi bête que la rentrée des classes. Peut-être qu’au fond, je suis quelqu’un de pas équilibré qui a besoin de choses comme ça pour l’être un peu. Je tombe enceinte du livre suivant alors que je n’ai pas encore fini d’accoucher. C’est le truc que j’ai trouvé pour ne pas être écrasée de deuil; je m’y remets à la seconde."