Jérôme Lafond : Broyer du noir
Dans un premier roman réussi, Jérôme Lafond donne la parole à une adolescente habitée par un imaginaire débridé et par des instincts de pyromane.
Malgré les cadavres démembrés retrouvés dans une fosse à purin et dans un abreuvoir à bestiaux, la campagne mirabelloise semble indifférente à la présence d’un mystérieux assassin qui y sévit sans modifier le cours de ses existences mornes, rythmées par l’activité agricole. Fascinée quant à elle par l’oeuvre de l’inconnu qui contribue à nourrir son imagination macabre, la jeune Brigitte entreprend rien de moins qu’une correspondance à sens unique avec celui qu’elle ne nommera plus que son "cher tueur". C’est que Brigitte, 15 ans, pyromane à ses heures et s’autoproclamant "sorcière", est elle-même habitée d’une "rage meurtrière" dont elle se soulage, notamment, grâce aux scénarios d’accidents qu’elle s’invente sur la banquette arrière de l’auto familiale.
En choisissant cette narratrice adolescente dont la misère existentielle cohabite avec une violente pulsion de mort, Jérôme Lafond reprend une formule qui n’a rien de neuf mais qui permet de poser un regard extérieur, dégagé et ironique sur la société des adultes. Son roman écrit à la première personne, un mode d’énonciation qui favorise l’émotion brute et l’économie de tout discours psychologisant, n’est pourtant pas dépourvu d’interprétations à donner aux pensées morbides de la jeune fille qui, bizarrement, associe elle-même sa "haine généralisée" à un "mécanisme de défense" utilisé afin de "[se] prouver [qu’elle est] bien vivante".
Croquant ses "ampoules de noirceur", prononçant des incantations et s’adonnant aux "mots-guillotines" dans le sous-sol qui lui sert de chambre (ses "catacombes adorées"), Brigitte entretient rien de moins que le fantasme de "périr par le feu de façon spectaculaire". Récit de la préparation de cette disparition dont ignoreront tout sa meilleure amie et deux garçons amoureux d’elle, Brigitte des Colères est porté par un style itératif et énumératif dont on pourrait avancer qu’il épouse le "trouble obsessif" de l’héroïne. Si le procédé, avec ses longueurs, finit par accuser un certain essoufflement, on constate que la proposition formelle du jeune écrivain ne s’opère ni au détriment de son propos ni à celui du véritable souffle, de la voix nouvelle et forte qui émerge de ce livre captivant.
Brigitte des Colères
de Jérôme Lafond
Éd. Marchand de feuilles, 2010, 178 p.