Lisa Moore : Refaire surface
Livres

Lisa Moore : Refaire surface

Lisa Moore était récemment de passage à Montréal. Nous en avons profité pour nous entretenir avec celle en qui plusieurs voient l’une des oeuvres les plus prometteuses de la littérature canadienne-anglaise.

Ce sont d’abord ses nouvelles qui ont attiré notre attention. En juillet 2005, à propos de son recueil Les Chambres nuptiales, mon collègue Benoit Jutras écrivait dans nos pages: "L’art de l’écrivaine repose sur autre chose qu’une "bonne histoire" à raconter car chacune, de façon graduelle ou impromptue, s’ensauvage, se diffracte, le fil narratif se déchirant, se multipliant comme un rhizome, déliant ainsi une écriture aux images aussi justes que prenantes."

À partir de 2006, année où son roman Alligator paraissait en français, Lisa Moore a démontré que l’écriture romanesque se prêtait tout aussi bien à sa façon de dessiner les personnages, ce qu’elle fait à partir de menus détails, toujours, sans pour autant tomber dans le gnangnan ou la facilité.

Nous voici avec Février dans la maison d’Helen, dont le mari, Cal, est mort en 1982 dans le naufrage de la plateforme de forage Ocean Ranger, au large de Terre-Neuve. Une tragédie bien réelle, qui a marqué son imaginaire comme celui de toute une province. "Cette plateforme était réputée insubmersible, rappelle Lisa Moore, un peu comme le Titanic! Et puis à l’époque, ça apparaissait comme une bénédiction, ce projet, ça représentait un bon job pour ceux qui s’embarquaient, une manière sécuritaire de gagner de l’argent en mer. Quand elle a sombré, le jour de la Saint-Valentin 82, ça a été un grand choc pour tout le monde."

Écrire autour d’une telle catastrophe n’est pas sans danger. Le potentiel dramatique est indéniable, évidemment, mais peut mener au sensationnel à outrance, à l’effet facile. Avec finesse et maestria, Lisa Moore demeure en périphérie du drame, détaillant les multiples formes de ses conséquences. Février, c’est d’abord l’histoire d’une disparition, d’une absence. Un thème qui ne prend pas sa source que dans la chronique maritime. "Mon père est mort alors que j’étais jeune encore, raconte l’auteure. Une mort naturelle, mais très soudaine. Ma mère et lui étaient très amoureux, très proches, et j’ai assisté de près au drame de sa solitude, après. Mon personnage d’Helen s’inspire beaucoup d’elle."

Février
de Lisa Moore
Éd. du Boréal, 2010, 304 p.

ooo

FEVRIER

Helen vit entourée de ses enfants et petits-enfants, dans ce qui a toutes les apparences d’une existence non pas parfaite, mais pleine. Or, depuis la mort tragique de son mari, 25 ans plus tôt, il y a quelque chose qui ne s’est jamais recollé. Avec cette très habile manière qu’elle a de partir du détail pour révéler ce qui compte vraiment, Lisa Moore nous montre qu’il suffit parfois de peu pour rouvrir les blessures du passé. Voilà un livre superbe, autour de la question "comment continuer malgré tout?"; autour de ces événements qui remettent la vie en marche, comme l’annonce d’une naissance… Il faut applaudir aussi la très sensible traduction de Dominique Fortier, jeune romancière dont on a adoré le roman Du bon usage des étoiles et qui, contrairement à ce que nous avancions dans une récente chronique télé, n’en est pas ici à sa première traduction – nos excuses… -, elle qui traduit le travail de Lisa Moore depuis Open, son tout premier livre.

Février
Février
Lisa Moore
Boréal