Louise Warren : Au fil des pages
Livres

Louise Warren : Au fil des pages

Louise Warren évalue son parcours de femme et d’écrivaine à l’aune de sa bibliothèque, univers en perpétuelle mutation, lieu de tous les questionnements.

"Je suis souvent debout, face à ma bibliothèque, en quête d’une révélation ou d’une apparition. Comme devant un paysage, je médite en laissant mon regard parcourir les lignes horizontales des tablettes, verticales des livres. Rangées de voix, de spectateurs, balcons étagés: ma bibliothèque est un théâtre." C’est par cette magnifique ouverture que nous pénétrons dans le dernier ouvrage de Louise Warren, poète et essayiste québécoise qui se penche ici sur les différents aspects de son existence (enfance, vie amoureuse, maternité, deuils, voyages, écriture…) par le biais du dialogue qu’elle entretient depuis toujours avec les livres, de son parcours de lectrice.

D’Alberto Manguel à Michel Tremblay, les exemples de journaux ou d’autobiographies de lecteurs ont foisonné au cours de la dernière décennie, les "livres sur les livres" étant devenus un genre littéraire en soi. Qualifiés d’"essais libres", avec leur architecture à première vue décousue, ces Attachements de Warren s’en distinguent par un art assumé du fragment, fragment de prose où se manifeste l’expression vive d’une idée, d’une émotion ou d’une sensation liée à une lecture particulière et à son impact sur l’univers et l’oeuvre de l’auteure.

Privilégiant la poésie mais tôt marquée par les livres d’architecture de la bibliothèque de son père, l’écrivaine voue un certain culte à tous ces livres d’images, aux catalogues d’expositions, voire aux magazines de décoration: "quand je tourne des pages d’images, de photos, de décors, mon esprit vit un abandon actif, récolte ce qui vient vers lui, adhère à de nouvelles formes." Toutefois, bien qu’il soit une fois question de la "douceur du papier" appréciée par l’écrivaine, on trouvera peu chez Warren les habituels clichés fétichistes associés à l’objet livre qui envahissent la plupart des autobiographies de lecteurs.

Les livres forment davantage ici un tout, un univers contenu dans l’objet à plus grande échelle que constitue la bibliothèque. Car c’est elle qui règne ici, avec ses étagères de modèle "Billy", achetées chez Ikea. Bibliothèque vivante, en constante métamorphose parce que régulièrement enrichie mais aussi dépouillée, "hantée par l’esprit des auteurs absents", de même que par ces livres espérés depuis longtemps et qui n’existent pas encore (la biographie d’Anne Hébert, par exemple, ou celle de Gaston Miron). Parlant du patient travail d’élagage effectué dans sa bibliothèque en prévision de l’écriture de ce livre, Warren explique avoir passé "des mois à évaluer les besoins réels de chaque livre", procédant à un travail étrangement similaire à celui auquel elle s’applique durant l’écriture d’un poème, là où chaque mot doit être mûrement pesé.

Habitée par Montaigne, Flaubert, Hawthorne, Duras, Vadeboncoeur, Barthes, sans oublier les poètes du monde entier (Eugenio de Andrade, Robert Creeley, Arnaldo Calveyra, Fernando Pessoa, Rainer Maria Rilke, Fabio Pusterla, Fernand Ouellette, Jean-Paul Daoust…), la bibliothèque de Warren est donc ce qui "[la] continue, [la] rassemble". En témoignent tous ces passages soulignés ou annotés depuis longtemps déjà dans les livres qui "éclairaient [ses] gestes quotidiens" et qui, à présent, "[l]’aident à comprendre qui [elle] étai[t]". Et jusqu’à ces livres qui ne disent plus rien quand on les rouvre beaucoup plus tard, incitant rien de moins qu’à "éprouver sa propre mort".

Attachements: Observation d’une bibliothèque
de Louise Warren
Éd. de l’Hexagone, 2010, 170 p.

Attachements: Observation d'une bibliothèque
Attachements: Observation d’une bibliothèque
Louise Warren
L’Hexagone