Claire Castillon : Rupture en direct
Dans Les Cris, son dernier roman, Claire Castillon prend le prétexte d’une rupture amoureuse afin de détailler le mécanisme créatif propre à l’écrivain.
"Généralement, à mon contact, l’homme tombe en dépression. Dans l’explication qu’il fournit, j’entends que je suis trop et qu’il ignore ce qu’il a, parce qu’il me veut vraiment, et ça, il en est sûr. Il insiste, jamais une femme ne lui en a si peu demandé et c’est merveilleux." C’est ainsi que s’exprime la narratrice du roman, jeune écrivaine à succès, en apparence bien dans sa peau, dont on cherchera vainement la raison de la séparation en cours d’avec l’homme dont elle est amoureuse et dont elle partage la vie depuis peu.
Pour ce récit, qui semble flirter avec l’autofiction, Claire Castillon a en effet choisi de ne proposer aucun motif à l’abandon dont la femme est l’objet. Et la raison en est simple: celle-ci, n’exigeant pas d’explication à son amant, entend bien ne prendre aucune part à l’événement, auquel elle va assister en spectatrice. Car lorsqu’elle sent qu’elle va bientôt être larguée, "la machine créatrice est lancée", la plaçant aussitôt dans une posture moins douloureuse que le combat, celle d’observer sa propre rupture: "Il veut me quitter, il va le faire, c’est une question de temps maintenant. Pour gagner quelques jours, il faudrait que je l’aide en le dégageant moi-même. Mais je vais plutôt le regarder partir."
Figure médiatisée des lettres parisiennes, Castillon a partagé plus d’une fois sa vision pessimiste du couple. À travers le portrait hautement dépréciatif d’un homme toujours "resté à la porte de [leur] histoire" et portant le prénom emblématique d’Adam (psychiatre dont la tendance à l’embonpoint et au narcissisme s’accompagne d’érections un peu molles), c’est essentiellement une réflexion sur la lâcheté masculine qu’elle propose dans Les Cris, lâcheté de tous ces "mâles sans vérité, sans dignité, sans grâce" à l’intérieur de couples auxquels ils ne participent pas pleinement.
Dans ce texte proche du journal, avec son écriture manquant (volontairement?) de finition, Claire Castillon relègue donc au second plan ce qui, dans tout autre roman, formerait l’histoire ou l’intrigue, afin de mettre l’accent sur un phénomène qu’elle ne désignera pas autrement que par le vocable de "monstre textuel". Entité qui habite son alter ego, à mi-chemin entre l’ange gardien et le démon intérieur, ce dernier lui inspire à tout moment la manière de se comporter afin de transformer ses expériences de vie en matériau littéraire. C’est la grande originalité d’un livre dont on sortira somme toute légèrement écorché, empreint de pitié pour cette femme qui marche, d’une certaine manière, à côté de sa vie.
Les Cris
de Claire Castillon
Éd. Fayard, 2010, 190 p.