Martine Desjardins : Enfer et damnation
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Martine Desjardins : Enfer et damnation

Auteure en marge des modes, écrivaine de l’imaginaire, Martine Desjardins signe, avec Maleficium, un roman ensorceleur qui se révèle un éloge d’une littérature de l’étrange et du merveilleux.

À peine a-t-on parcouru une trentaine de pages de ce quatrième roman de Martine Desjardins qu’on se devine déjà, quelques heures plus tard, rejoignant la chorale des critiques qui ont copieusement salué les vertus de cette curiosité littéraire.

En quelques chapitres, on est happé par cette langue, scintillante et fière, qui danse sur la page et entraîne le lecteur dans la spirale de ce récit au confluent des Mille et Une Nuits et de la légende de Rose Latulippe. Un roman qui fait se mélanger exotisme et terroir, et où l’auteure affirme son penchant pour une littérature qui s’éloigne le plus possible du quotidien et de l’ordinaire.

"Ce livre, à la base, c’est un désir de réaffirmer le côté fictif de la fiction, expose celle qui tient aussi le rôle de critique littéraire à L’Actualité. Dans l’autofiction, par exemple, on met beaucoup de vrai, ce qui, pour moi, est une voie de garage. C’est quelque chose qui est en train de détruire la fiction, puisqu’à mon avis, celle-ci doit se nourrir de l’imaginaire, et non de la réalité. Évidemment, cette conviction du rôle très important de l’imaginaire dans ce qu’on écrit m’oppose à beaucoup de mes contemporains."

Histoire d’étayer ce plaidoyer, Maleficium se révèle le plus efficace des prêches en faveur d’une injection massive de fabuleux et d’étrange dans la littérature actuelle.

À la manière d’une Shéhérazade, Desjardins y propose une série de récits extraordinaires dont il est impossible de se détourner. Ils prennent la forme de huit confessions successives, toutes reçues par un certain abbé Savoie qui aurait transgressé le serment de confidentialité auquel il est tenu en transcrivant les inavouables secrets qu’on lui avait confiés. Au centre de cette histoire qui traîne dans son sillage un puissant parfum de scandale, une femme damnée qui soustrairait au Bien les hommes qui ont le malheur de céder à leur curiosité et à la tentation…

Narrés avec une efficacité qui tient à l’usage de dispositifs littéraires à la fois simples et ingénieux, ces tableaux riches en détails témoignent d’une recherche qui touche évidemment aux légendes, mais aussi au réel lorsqu’il prend des proportions grandioses. Jardins somptueux au Cachemire ou églises souterraines en Éthiopie émaillent le récit, le constellent de découvertes au moins aussi fascinantes que l’histoire elle-même.

"Très souvent, je pige un livre au hasard dans un rayon de bibliothèque et je découvre quelque chose que j’ignorais. J’adore apprendre de manière hasardeuse, raconte Martine Desjardins. Je ne suis allée dans aucun des endroits dont il est question dans le livre. Je prenais la carte, mon doigt tombait quelque part, et j’allais lire sur ce lieu pour voir ce qu’il y a là. Évidemment, je n’ai pas tout utilisé, mais c’est comme ça que j’ai appris l’existence des églises de Lalibela, des gratte-ciel en plein désert à Shibam, de la chasse aux tortues à Oman…"

C’est une autre des missions que s’est confiées l’auteure: susciter l’intérêt, donner le goût d’en apprendre plus. Agacer l’envie de savoir du lecteur qui, bien que tenté, remarquera cependant que c’est aussi ce qui perd les différents narrateurs de cette histoire maléfique, lorsque leur curiosité tourne à l’obsession.

À lire avec prudence, donc.

Salon international du livre de Québec
Jusqu’au 11 avril
Au Centre des congrès de Québec
Voir calendrier Événements

Pour rencontrer Martine Desjardins au SILQ, consultez l’horaire au www.silq.ca.

À lire si vous aimez /
Le folklore québécois, les contes des Mille et Une Nuits, Edgar Allan Poe

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CORPS ET AME

Sous sa jaquette peu convenable, qui fait brûler le Sacré-Coeur entre les jambes d’une femme nue, Maleficium présente tour à tour sept narrateurs en proie à des tentations étranges, qui les mènent au bord du péché. Médecin montréalais découvrant à Zanzibar un joli cas de colonne vertébrale humaine se prolongeant en queue, entomologiste de la Société royale du Canada ramenant du Yémen une larve indélogeable de son nombril, apprenti lunetier rencontrant à Mascate une femme-tortue pleurant des écailles d’un raffinement inouï… Revenus clopin-clopant de leurs expéditions, ces derniers passeront par le confessionnal de l’abbé Savoie, chacun confiant avoir cédé aux charmes singuliers d’une femme à la lèvre supérieure fendue – laquelle s’exprimera aussi dans le huitième texte, donnant sa version des faits. L’auteure du Cercle de Clara (1997) et de L’Évocation (2005) ose un livre sans équivalent, trempant sa plume dans une encre qui semble appartenir à une autre époque, un temps où la nature et ses mystères n’étaient pas encore décryptés; où le désir était une force obscure, dont il fallait se méfier. En résulte une extraordinaire fête des cinq sens, à ranger en bonne place dans le cabinet de curiosités de la littérature actuelle. (T. M.-Racine)

Maleficium
de Martine Desjardins
Éd. Alto, 2009, 192 p.

Maleficium
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Martine Desjardins
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