Horacio Castellanos Moya : Soldat de la mémoire
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Horacio Castellanos Moya : Soldat de la mémoire

Chut! Ne dites pas à Horacio Castellanos Moya qu’il est un écrivain engagé. Pour celui qui a connu la dictature salvadorienne, ce terme politiquement connoté agit comme un repoussoir.

Engagé à préserver la mémoire du pays de son enfance? "Ah… c’est autre chose. Mais je doute qu’un écrivain puisse faire autrement." Au Québec (et en France), c’est grâce à l’oeil de lynx de Brigitte Bouchard des Allusifs qu’on a goûté l’oeuvre d’Horacio Castellanos Moya. L’éditrice a mis la main sur ce généreux catalogue constitué de huit romans et cinq recueils de nouvelles, et depuis 2003, presque chaque année, les lecteurs ont droit à une nouvelle offrande de l’écrivain né au Honduras en 1957, ayant vécu la majeure partie de sa vie au Salvador jusqu’à ce que la guerre éclate en 1980 et qu’il se réfugie d’abord à Toronto, puis au Costa Rica, au Mexique, en Espagne… Il a posé ses valises à Pittsburgh il y a deux ans. Se considère-t-il encore aujourd’hui comme un écrivain en exil? "Je ne pense plus en ces termes-là désormais, dit l’auteur du Bal des vipères. Après toutes ces années à errer de par le monde, l’exil est devenu un statut permanent pour moi. Si je me disais écrivain en exil, ça signifierait que j’attends le moment de pouvoir rentrer chez moi. Or, ce n’est plus le cas."

L’oeuvre d’Horacio Castellanos Moya est profondément marquée par l’histoire récente du Salvador. Lorsque l’on parcourt ses livres, Là où vous ne serez pas – son plus récent, paru à l’automne 2008 -, par exemple, on ressent cet attachement profond au pays de son enfance. "Ces années sont fondamentales pour un écrivain en termes d’expérience du monde et de création d’un mythe fondateur qui alimentera l’écriture."

La guerre s’est terminée en 1992; la dernière visite de Moya au Salvador remonte à il y a six ans. "Politiquement parlant, le pays a changé; la démocratie s’y est développée. Mais en dehors de ça, c’est pareil ou même pire: économiquement, le pays est toujours aussi pauvre, les conditions de santé sont mauvaises, la criminalité et l’analphabétisme sévissent… Au moins, les protagonistes politiques respectent les règles établies et les gens ont arrêté de se tirer dessus, c’est déjà ça."

Dans Là où vous ne serez pas, Alberto Aragón, un homme en chute libre, ex-ambassadeur et diplomate, ira finir ses jours dans un taudis de Mexico. Il est dépossédé de tout; c’est la déchéance. "Le titre du livre fait référence au fait qu’il ne veut pas mourir dans son pays, le Salvador, dont il attendait tant et qui l’a déçu. Il roule pendant deux jours pour s’en éloigner, pour aller expirer dans cette chambre loin de tous ceux qui étaient à ses côtés quand il avait du succès et qui l’ont abandonné."

Le sujet paraît lourd, impitoyable, mais la plume – vive, colorée, mélancolique – n’est pas dénuée d’humour. "Pour de nombreux Latino-Américains, c’est un mode de vie: on rit de tout. Pourquoi? Parce que c’est une forme de résistance, une manière de survivre dans un environnement hostile… Avec ces souvenirs de guerre frais à notre mémoire, il y a deux réactions possibles: rire ou pleurer. Pleurer rend encore plus vulnérable; rire est un mécanisme de survie."

Rendez-vous sur le site de Metropolis bleu (metropolisbleu.org) pour connaître les dates des trois rencontres auxquelles participe l’auteur.
Le 27 avril dès 18 h 30
À la librairie Le Port de tête (262, avenue du Mont-Royal Est)

Là où vous ne serez pas
d’Horacio Castellanos Moya
Éd. Les Allusifs, 2008, 271 p.

À lire si vous aimez /
Ernesto Sábato, Gabriel García Márquez, Roberto Bolaño

Là où vous ne serez pas
Là où vous ne serez pas
Horacio Castellanos Moya
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