Marie Christine Bernard : Dehors norme
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Marie Christine Bernard : Dehors norme

Marie Christine Bernard débarque d’une tournée littéraire en France, où elle a reçu le prix France-Québec. Retour sur les aléas du voyage avec cette auteure volontairement hors norme.

Au sortir du Salon international du livre de Québec, Marie Christine Bernard est aussi souriante qu’épuisée – ce qui n’est pas peu dire. Nous arpentons le quartier Saint-Jean-Baptiste, qu’elle a habité plusieurs années, à la recherche d’un sympathique bistro où dîner. C’est dans le brouhaha du restaurant bondé que nous nous abandonnerons à une longue entrevue, ponctuée d’éclats de rire et d’argumentaires passionnés.

Il faut dire que l’auteure mérite bien de prendre le temps. Les dernières semaines ont été chargées pour celle qui a écrit le fameux Mademoiselle Personne, arrivant à peine d’une tournée littéraire en Europe où elle a reçu, en plein Salon du livre de Paris, le prix France-Québec.

"C’était un presque tour de France", relate celle qui a arpenté huit régions de l’Hexagone (dont la Bourgogne, l’Auvergne, Chartres et Paris) en 18 jours. Un périple de plus de 2300 km au cours duquel elle a vécu les élections régionales chez l’habitant, a dormi dans la tour d’un château du XIe siècle donnant sur les vignobles du Beaujolais, et même dans la chambre de la fille de Louis Hémon, à Quimper, en Bretagne.

Ce parcours de "rock star" lui aura fait découvrir la France de l’intérieur, comme elle ne l’avait jamais vue. "Les Français ont fait la Révolution pour se débarrasser des privilèges, mais au fond, la France est encore royaliste. J’étais excédée par l’à-plat-ventrisme des gens devant tout ce qui porte un titre…" Même Patrick Poivre d’Arvor, figure phare du star system français qui lui a remis le prix, a goûté à sa franchise. "Son auguste présence ne m’impressionnait pas!" rigole-t-elle encore.

Certains journalistes, aussi, qui auraient voulu transformer son écriture en combat pour la protection de la langue française en Amérique. Pour Marie Christine, écrire n’est pas une croisade, mais un engagement. "Les écrivains ne sont que des témoins, pas des cerbères de la langue. Je n’écris pas pour sauver la langue."

Heureusement, le prix France-Québec est un prix du public, ce qui transforme l’expérience en un exercice riche en émotions. Les activités auxquelles elle participait – ateliers, conférences, rencontres, séances de signatures – la mettaient en présence de "vrai monde". "Les gens m’ont accueillie avec une admiration presque intimidante… Et c’est mon livre qui a fait ça! Il faut le vivre une fois dans sa vie."

Alors que l’enseignante du collège d’Alma avait pris une session sabbatique pour écrire son prochain roman, ce dernier a évidemment dû être mis sur la glace, au moins pour un moment. Mais un voyage comme celui qu’elle vient de terminer, avec des rencontres "pagnolesques" et des situations pour le moins cocasses – les anecdotes les plus amusantes se succèdent toute la durée du repas -, est une source d’inspiration importante pour qui sait porter attention aux petites choses de la vie. "J’ai eu plein d’idées en voyage, et j’ai pris beaucoup de notes, particulièrement dans les gares… C’est un milieu extrêmement riche."

D’ailleurs, ce n’est pas la première fois qu’un voyage en Europe aura apporté de l’eau à son moulin. Deux trésors de fond de tiroir, ces nouvelles qui sont à l’origine de son plus récent ouvrage (le recueil Sombre Peuple), ont d’ailleurs été créés en France: Le Portrait, lors d’un voyage d’études à Lyon, puis Vie et mort de Louis-Seize Stone, qui a reçu le troisième Prix du jeune écrivain francophone en 1990.

MORNE NORME

"Sous certains aspects, je suis marginale. Quand j’étais enfant, souvent, j’aurais préféré savoir mieux courir qu’écrire. Mais je suis comme ça… Il faut accepter ce qu’on est." Pour Marie Christine Bernard, non seulement il n’est pas souhaitable de chercher à se fondre dans la norme, mais il faut apprendre à respecter la différence, voire à l’encourager. "C’est arbitraire, la norme. Il n’y a pas de place où vivre, dans la norme. C’est une prison intime, un tombeau pour les rêves, un carcan qui m’empêche de respirer. J’ai vu des gens souffrir de ça."

C’est cette réflexion qui est à la source du recueil de nouvelles Sombre Peuple, paru alors qu’elle était encore en tournée en France. L’ouvrage, regroupant 13 nouvelles, traite des difficultés ressenties par ceux qui vivent en marge du plus grand nombre, brossant le tableau d’univers disparates – entre le 16e siècle et aujourd’hui -, mais liés par l’importance chaque fois accordée à l’apparence – aux apparences -, ce qui a une répercussion importante sur la vie de ses personnages.

Cette nouvelle publication s’inscrit donc dans une réflexion de vie pour celle qui travaille auprès des Amérindiens depuis une dizaine d’années – et qui profitait d’ailleurs du Salon du livre pour rencontrer Maurizio Gatti, auteur de la première anthologie de littérature amérindienne parue chez BQ. Elle se défend toutefois de combattre des moulins à vent: "Ce n’est pas une croisade. C’est un engagement. Je serai toujours indignée par l’injustice, outrée par l’intolérance. Combien de souffrances non dites? Quelle culpabilité est vécue par celui qui ne correspond pas à la norme? Si un sujet nous taraude, on écrit dessus, on l’explore. C’était ça, pour moi, la marginalité."

Sombre Peuple
De Marie Christine Bernard
Éd. Hurtubise HMH, 2010, 200 p.

À lire si vous aimez /
Les nouvelles littéraires, Mademoiselle Personne

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AGENDA D’AUTEURE

Il n’y a pas de repos prévu pour la guerrière au cours du mois d’avril – pas question de s’arrêter! Faute de ne pouvoir prendre tout son temps pour écrire, elle continuera de "jouer à l’auteure", comme elle le dit en souriant, participant à de nombreuses activités qui la mettront en relation avec ses lecteurs.

En vrac:

– Salon du livre d’Edmundston, du 15 au 18 avril.
– Livres en fête, un événement nomade qui parcourt la Gaspésie et les Îles-de-la-Madeleine, du 18 au 25 avril.
– 4e Nuitte de poésie au Saguenay, le 30 avril, au Côté-Cour, où elle fera une lecture publique.
– Aussi, à venir au mois d’août (du 5 au 8), Marie Christine Bernard participera aux Correspondances d’Eastman, où elle proposera entre
autres une lettre d’amour qui sera vendue à l’encan.