Mario Cyr : Blessures et rédemptions
Mario Cyr offre, d’un seul coup, deux romans brefs, des plaquettes sensibles, impressionnistes, parcourues de rage et de désir: Jusqu’à épuisement des stocks et Mono.
Après avoir publié de belles et passionnantes briques, des pages nombreuses et remplies d’une écriture ample, des romans au souffle indéniable sur l’amour, la mort et la maladie, mais surtout sur la vie et le rude combat qu’elle suppose, le Montréalais Mario Cyr se tourne vers la forme brève, le fragment, la synthèse, l’évocation. Comme s’il visait l’épure, une certaine quintessence, l’auteur de Ce n’est qu’avec toi que je peux être seul et Vieillir donne maintenant, qu’on le veuille ou non, dans la plaquette. Mais quelles plaquettes!
Le plaisir de lecture est bref, intense, mais aussi ramifié, tout en échos. C’est que le propos, aussi bien que la construction, donne matière à réflexion, laisse place à l’imagination. C’était déjà le cas avec Revenir à toi, publié l’an dernier, mais c’est encore plus vrai avec les deux petits livres qui viennent de paraître. En une trentaine de fragments, Jusqu’à épuisement des stocks dessine les trajectoires de deux garçons que rien ne prédestinait à une rencontre. Jules, un intello, prend soin de sa grand-mère. TiFauve, un instinctif, fait commerce de son corps. Ce sont des orphelins, dans tous les sens du terme. Quelqu’un, le narrateur, vieillissant, les observe, voit son existence éclairée par la leur, et vice-versa.
Le chassé-croisé qui pousse Jules et TiFauve l’un vers l’autre est plein d’embûches, de coups bas, mais il est aussi rempli de désir, un appétit pur, pour ne pas dire candide. Le tandem d’amoureux est à la fois préservé et en même temps pleinement conscient des horreurs du monde. "On s’élève de la poussière pour y retomber. Entre les deux, il y a l’ahurissement de vivre, le reste, le style, dépend de soi." Vous aurez compris que les thèmes de Mario Cyr sont restés les mêmes. Il y a toujours cette sensibilité, totalement dénuée de sensiblerie, ce romantisme, que l’on pourrait qualifier de concret, mais aussi cette vivifiante insurrection devant les aberrations enfantées par les sociétés capitalistes.
C’est précisément cette révolte qui est au coeur de Mono, un livre qui s’apparente à un credo, quelque chose comme une confession, un aveu, une réflexion, une autofiction, mais aussi une étude anthropologique, un constat. Au monde qui l’entoure le narrateur offre une déclaration de haine et d’amour en 38 points. S’il lance ses flèches sur les tares de notre époque, pourfend les mensonges et les impostures, il explique aussi, heureusement, avec impudeur et non sans une certaine nostalgie, pourquoi son coeur continue de battre.
Le regard franc qui sous-tend ce livre en fait très certainement la porte d’entrée par excellence dans l’oeuvre de Mario Cyr. "De quelqu’un d’exubérant, et qui n’a pas la langue dans sa poche, on dit qu’il est entier, ce qui laisse déduire que tous les autres sont seulement partiels."
Jusqu’à épuisement des stocks; Mono
de Mario Cyr
Éd. Les Intouchables, 2010, 77 p. et 83 p.