Jean-François Caron : Retour au pays natal
Les lieux de l’enfance nous hanteront toujours. Dans son premier roman, Jean-François Caron raconte le retour d’un jeune homme dans son Bas-du-Fleuve natal.
Dans l’atmosphère venteuse du bord de mer, on découvre d’abord la maison familiale, complètement désolée, puis on fait connaissance avec les figures emblématiques du village: l’épicier Ouellet, les piliers du bar de l’hôtel, la Farouche, débarquée en stop, et soeur Marie-Madeleine-des-Eaux-Vives qui veille sur les vieilles âmes qu’on a remisées au foyer. De part et d’autre, on se jauge, on potine.
C’est l’envie de redonner la parole à ceux qu’on n’entend plus qui a fait germer le roman dans les méninges de l’auteur, qui occupe actuellement le poste de rédacteur en chef à Voir Saguenay. "Mon beau-père a travaillé dans un foyer pour personnes âgées à Saint-André-de-Kamouraska. Un monsieur âgé lui a demandé de faire le tour de la Gaspésie avec lui. Mon beau-père l’a pris dans sa voiture et il l’a fait. Le vieil homme a pris des notes tout le long. Plus tard, j’ai relu ça. Je suis parti de cette espèce de fait divers-là. Ça m’a donné envie de faire perdurer une parole qui allait s’éteindre. Y a des gens qui peuvent raconter des choses incroyables, qui sont prêts à le faire, et personne ne les écoute. Et pas besoin d’aller dans les foyers pour voir ça, même les gens autour de nous, on ne les écoute pas." Ainsi, le narrateur, qui semble désoeuvré au premier abord, apparaît comme le destinataire de toutes les rumeurs du village, de toutes ces histoires qui n’intéressaient plus personne.
DONNER LA PAROLE
L’intérêt du roman se situe dans la langue très orale employée par Caron qui nous accroche avec sa poésie, avec sa manière de faire vivre et parler la nature. La part du conte insuffle à l’histoire une épaisseur qui dépasse la simple observation subjective. "Le conte est considéré comme un mensonge. Mais ce n’est pas tant un mensonge qu’un embellissement. Ici au Saguenay, on a un verbe pour dire ça, c’est "chouenner". Les chouenneux, ce sont les conteurs, ou ceux qui exagèrent. Mais ce n’est pas un mensonge quand il n’y a aucune volonté de trahir la vérité. Au contraire, peut-être que la rumeur, c’est ce qu’il y a de plus vrai."
À cet égard, le village de Sainte-Euphrasie porte bien son nom. Au-delà de la référence – symptomatique au Québec – à une divine patronne, c’est tout de suite l’idée de parole qui est évoquée par l’entremise du mot-phrase. Si l’auteur n’était pas conscient de cette signification au moment de l’écriture, la coïncidence lui plaît. "Le préfixe "eu-", du grec, signifie "bon". Et si le personnage allait dans ce village pour retrouver la bonne phrase, quelque chose comme une vérité? Et si son passage redonnait une parole espérée au village?"
Or, le personnage ne se contente pas d’entendre la rumeur. S’adressant à celle qu’il a quittée, en employant le "tu", il s’impose lui aussi comme conteur. "Il s’adresse à Marie qui n’est pas là. C’est la première version de l’histoire. Mais est-ce qu’il va raconter l’histoire de la même façon s’il revient vers elle? Les vrais conteurs n’ont pas une seule version de leurs histoires." Avec sa voix bien distincte, on espère que Jean-François Caron sera aussi prolifique.
Nos échoueries
de Jean-François Caron
Éd. La Peuplade, 2010, 145 p.
NOS ECHOUERIES
Mystérieusement attiré vers Sainte-Euphrasie, dans le Bas-Saint-Laurent, un jeune homme quitte sa blonde et squatte la maison de son enfance, laissée à l’abandon. S’adressant à sa belle éplorée, il revisite ses souvenirs et ses rêves et raconte les allées et venues des villageois, leurs soirées bien arrosées à l’hôtel, leur désarroi depuis que le quai qui les liait au fleuve a été démoli et que la fonderie s’est tue. À travers lui, mi-prodigue, mi-étranger, le village trouve une voix pour se raconter alors que dans le foyer pour personnes âgées, le drame couve, aussi inexorablement que les vieux vieillissent.