Jean-Marc Beausoleil : Taxi blues
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Jean-Marc Beausoleil : Taxi blues

Avec Utopie taxi, Jean-Marc Beausoleil poursuit une oeuvre littéraire habitée par la ville et par un certain sens du rythme.

Un récit aux accents policiers assumé par un chauffeur de taxi écrivain qui en sait trop et qui essaie de sauver son âme sur fond de musique jazz: rien que de très convenu, il faut bien l’admettre. Mais ajoutez-y la mère dudit chauffeur, sexagénaire et nymphomane qui deviendra la maîtresse d’un ancien top-modèle, frère de la blonde judoka… et vous vous retrouverez avec quelque chose de beaucoup plus corsé, voire d’un peu fou, de cette folie douce à la Jean-Marc Beausoleil que nous avaient déjà laissé entrevoir deux romans précédents (La Conversation française, Pourquoi je ne me suis pas suicidé comme mon ami Louis) et un recueil de nouvelles, Le Souffle du dragon, paru l’an dernier chez Triptyque.

Qui donc est vraiment Charles Gosselin, ce "médecin sans frontières" ayant passé une bonne partie de sa vie à soigner les plus démunis du tiers-monde, mais qui à Montréal sert de chirurgien clandestin aux brutes du crime organisé? C’est la question qui turlupine notre brave chauffeur de taxi et ancien étudiant en lettres après avoir effectué une course pour le compte de la mafia et du "bon docteur" qui se trouve aussi à être son beau-père. Le paradoxe entourant ce personnage, tour à tour "titan" et "larbin" qui entretient son propre mystère, deviendra une véritable obsession pour le narrateur. Mais "tenu au secret professionnel", il se refusera jusqu’au bout à mettre au courant sa petite amie qui ignore tout des activités illicites d’un paternel considéré comme un véritable héros alors même que plane l’ombre de la mort…

Davantage que dans son intrigue plutôt bien menée, l’intérêt de ce livre réside dans sa galerie de personnages, fort inspirants pour l’apprenti écrivain qui, sur la banquette arrière de son véhicule, croise "tous les spécimens de l’humanité" puisque "chacun doit, un jour ou l’autre, prendre le taxi". Suivant le fil de ses différentes courses qui prennent parfois l’allure de vraies chorégraphies aux quatre coins de la ville (Montréal, lieu de tous les exils), le troisième roman de Beausoleil trace également le portrait d’une microsociété métissée à laquelle se greffent des confrères et amis tels que Rudy, réfugié colombien, Gérard, pied-noir algérien, et Franck, vétéran de la guerre du Viêtnam et patron d’une taverne où se retrouvent les chauffeurs.

Dommage que, sacrifiant à un certain sens du rythme, ne soient pas exploités davantage tous ces personnages au riche potentiel qui, comme certaines situations de ce roman trop bref, auraient gagné à être développés. Avec, en outre, une finale expédiée qui eut mieux convenu à une nouvelle, Utopie taxi donne l’impression d’avoir été composé avec une volonté d’épure que le sujet et la facture non poétique du texte ne justifient pas vraiment. En forçant en quelque sorte le caractère instantané de son oeuvre, l’auteur me semble avoir enlevé de la substance à celle-ci, la privant d’une profondeur, d’une épaisseur qui se laisse pourtant deviner au détour de certaines phrases bien senties.

Utopie taxi
de Jean-Marc Beausoleil
Éd. Triptyque, 2010, 143 p.

Utopie taxi
Utopie taxi
Jean-Marc Beausoleil
Triptyque