Michel Garneau : Contraintes étreintes
Dans Les Chevaux approximatifs, Michel Garneau s’attelle à de belles et ambitieuses contraintes. Après 50 ans de vers libres, le poète trouve une liberté nouvelle dans les formes classiques.
Récemment à la radio, on disait de Michel Chartrand qu’il avait été un homme libre parce qu’il avait choisi ses chaînes. L’analyse vaut également pour Michel Garneau qui, dans Les Chevaux approximatifs. Un hommage aux formes, repêche des manuels de littérature classique et étrangère sonnet, rondeau, bob and wheel, rispetto, haïku, etc., un projet caressé depuis les années 70.
Parmi les raisons de coeur et de tête invoquées par le poète pour mettre fin à 50 ans de vers libres, retenons cette envie de tromper la lassitude. "Quand tu écris depuis longtemps, le plus difficile, c’est de ne pas trop te répéter, explique-t-il. Tu essaies de retrouver une fraîcheur. Te confronter à des formes qui existent déjà le permet. Ce sont, comme le dit le poète Paul Muldoon, des camisoles de force, mais comme une camisole de force en était une pour Houdini. Il l’enfilait pour en sortir en 28 secondes, accomplir un exploit, se donner un défi. Moi, avec toute mon expérience, je me mets devant ça et tout à coup, je me sens curieusement libre. Ça devient extrêmement excitant. J’ai été heureux à écrire toute ma vie, mais jamais autant que maintenant."
C’est de l’ouvrage!
Garneau n’aurait pas souligné qu’il rend hommage aux formes que cela nous aurait échappé à la lecture de bien des textes. L’écrivain ne se prend jamais ici pour Basho ou Ronsard; on renoue avec le même bougonneur émerveillé, mélancolique plein d’espoir, raconteur picaresque de soirées sublimes, peintre de natures jamais mortes, diseur d’un joual jazzé. Le même increvable Québécois épris de cul salvateur, dépité par nos lâchetés, indigné par les écrabouilleurs de bibittes qui, comme toujours, donne l’impression d’écrire les deux doigts dans le nez tellement tout coule de source. Sauf qu’en réalité: "Il y a un poème qui m’a pris un mois, révèle-t-il. Il y a des journées absolument fabuleuses où je taponne sur quelques lignes. L’obsession de la rime, c’est pas un cadeau. En même temps, ça te fait découvrir des mots auxquels tu n’aurais pas pensé autrement. D’ailleurs, la rime m’a fait enfreindre un de mes grands principes. Toute ma vie, j’ai essayé d’écrire avec un vocabulaire immédiat, de ne jamais utiliser des mots rares ou précieux. Là, la rime me force à… à… à trouver des mots qui riment, câline!"
C’est aussi beaucoup le grand lecteur et l’érudit anglophile que l’on retrouve dans ce recueil. Celui qui précise au passage que le rejet irrévocable des formes classiques a été essentiellement l’apanage de la littérature francophone, avant de célébrer une grande vérité: qu’elle compte ses pieds ou pas, la poésie s’écoute, comme de la musique. "Quand on lit les bons poètes qui écrivent en vers libres, Roland Giguère par exemple, il y a toujours un rythme, une mélodie. Si on se met à chercher les alexandrins dans la poésie contemporaine, on va en trouver partout."
Les Chevaux approximatifs. Un hommage aux formes
de Michel Garneau
Éd. de L’Hexagone, 2010, 328 p.