Victor-Lévy Beaulieu : Tirer à vue
Victor-Lévy Beaulieu joint en un seul livre une flopée d’interventions publiques suivant l’évolution de sa pensée politique et littéraire des 30 dernières années. Il y fait flèche de tout bois, affirmant parfois tout et son contraire mais le faisant avec une verve dont les débats actuels nous abreuvent bien peu.
Accessoires nécessaires à la bonne lecture de ce recueil: une table, un pantalon long, une fenêtre. La table, c’est pour pouvoir cogner dessus chaque fois que le bougre nous fait rager, par ses raccourcis intellectuels, ses amalgames, ses positions indéfendables (son appui à Mario Dumont, en mars 2007, n’est pas la moindre). Le pantalon long, c’est pour ne pas se rougir les cuisses à force de taper dessus, Victor-Lévy Beaulieu ne manquant pas, il faut lui donner ça au moins, d’un humour décalé à souhait (expliquer les échecs politiques de René Lévesque par le biais de ses goûts vestimentaires, lui qui était fondamentalement "un homme à manches courtes", faut le faire). La fenêtre, enfin, c’est pour mûrir les passages dont émane une grâce indéniable; pour embrasser le ciel du Québec – pour paraphraser Jacques Ferron, plusieurs fois célébré en ces pages – et méditer sur le sort de notre société.
Le titre l’indique, on trouve ici le fameux article publié dans L’Aut’Journal, en mai 2008, au sujet de la gouverneure générale Michaëlle Jean. Article suivi d’une "mise au point" qui n’avait pas beaucoup calmé les ardeurs de ceux qui avaient vu dans les propos de l’écrivain une inadmissible analogie. Mais "La Reine-Nègre" n’est que l’un des dizaines de textes "vaguement polémiques" rassemblés pour l’occasion, dans plusieurs cas des papiers publiés dans Le Devoir, La Presse et Le Couac, entre autres, mais à travers lesquels scintillent quelques inédits, dont un bel hommage à Champollion.
Condensé de la pensée politique de VLB, une pensée dont il faut moins chercher à suivre le fil qu’à mesurer la capacité à, parfois, mettre le doigt exactement où ça fait mal, ce livre est traversé d’un amour fou pour le Québec, bien qu’il en déplore constamment l’inertie. Mais c’est également un riche voyage au pays de la littérature, où, par l’intervention de l’auteur, Michel Foucault répondra à Dany Laferrière, où Henry Miller s’en prendra plein la gueule et où sera bien écorchée notre relève littéraire – plusieurs se souviendront de la polémique qu’avait causée, l’article "Une lecture des nouveaux romanciers québécois" (La Presse, 11 février 2004).
Excessif, exaspérant, mais plus encore nécessaire.
La Reine-Nègre et autres textes vaguement polémiques
de Victor-Lévy Beaulieu
Éd. Trois-Pistoles, 2010, 440 p.