Mathieu Sapin : Carnets à malice
Parallèlement à la sortie du film Gainsbourg (vie héroïque), le dessinateur Mathieu Sapin publie un fabuleux livre qui en raconte les coulisses avec beaucoup d’humour et de tendresse.
Près de 20 ans après sa mort, Serge Gainsbourg continue de fasciner le public. Certains apprécient le personnage Gainsbarre des années 80, provocateur et volontiers grossier. D’autres carburent à ses plus grands succès, quelques morceaux qu’ils se repassent. Et enfin, moins nombreux mais essentiels dans la propagation de l’oeuvre et du mythe gainsbouriens, arrivent ses fervents, ses "fans", pour qui le coffret intégral constitue une pièce capitale dans leur discothèque personnelle.
Il y a fort à parier que Joann Sfar fait partie de cette frange-là, les gourmets mélomanes. Bédéiste d’immense talent, Sfar a troqué le stylo contre la caméra en réalisant un film sur son idole, Gainsbourg (vie héroïque), présentement sur nos écrans. La sortie a été accompagnée d’objets promotionnels (macarons, affiches, boîtes d’allumettes), de la trame sonore (en version double ou simple CD). Le réalisateur a publié lui-même ses carnets de tournage dans Gainsbourg (hors champ).
Mais le plat de résistance, le plus extraordinaire des produits dérivés, on le doit au dessinateur Mathieu Sapin, un copain de Sfar à qui ce dernier a demandé de suivre les coulisses du film. Résultat? Des carnets dessinés regorgeant de vie, de malice, d’admiration, de potins, de candeur, d’informations sur les techniques cinématographiques. Tout, tout, vous saurez tout, avec Feuille de chou (journal d’un tournage), de ce qui se passe sur un plateau de ciné.
Mathieu Sapin s’est promené partout. Dans ses carnets, il se met en scène lui-même avec sur la tête une tuque. Moqueur, il s’en explique dès le début du livre: "Grâce à ce bonnet ridicule, j’ai l’air d’un charlot et personne ne se méfie de moi… C’est ce que j’appelle la "méthode Columbo"." Sans que jamais on puisse le taxer de narcissisme, le personnage de Sapin est présent dans pratiquement toutes les pages, pour la plus grande joie du lecteur. Il a une bonne tête de faux naïf, il aime se moquer gentiment de son ami Sfar. Ce dernier est représenté dans cet ouvrage comme un réalisateur passionné mais très méticuleux, à la limite du caractériel. Il a néanmoins autorisé Sapin à se balader dans les loges des artistes, à noter et photographier tout ce qu’il voulait… enfin presque tout: "Tu peux prendre des photos de tout ce que tu veux sauf des actrices quand elles sont pas maquillées… surtout Laetitia Casta." Pour la petite histoire, l’actrice impressionna beaucoup Sapin. A-t-il fini par s’en remettre?
Ces carnets sont euphorisants: impossible de les lâcher une fois commencés. Ils rappellent souvent, par l’humour et la tendresse, par la façon enfantine de raconter les choses, les chroniques que le chanteur Renaud a écrites pour Charlie Hebdo. Un style trop rarement utilisé et qui pourrait se rapprocher de la série des Paul de Michel Rabagliati. Mathieu Sapin ne l’a pas inventé, mais il le maîtrise à la perfection. Et c’est un bonheur inestimable.
Feuille de chou (journal d’un tournage)
de Mathieu Sapin
Éd. Delcourt, 2010, 358 p.