Emilie Villeneuve : Une maladie comme une autre
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Emilie Villeneuve : Une maladie comme une autre

Emilie Villeneuve nous entretient d’une bande dessinée sur l’anorexie chez les adolescentes qu’elle a réalisée avec l’illustratrice Julie Rocheleau.

La Fille invisible fut d’abord un projet concocté par le Dr Jean Wilkins, spécialiste des troubles de la conduite alimentaire au CHU Sainte-Justine, et par la maison Glénat Québec. Abordée par cet éditeur pour en produire le scénario, Emilie Villeneuve, jeune rédactrice en chef de Clin d’oeil, ne croit pas que les magazines féminins et l’hypersexualisation soient les causes de l’anorexie chez les adolescentes: "Je pense que ça a une influence plus grande chez les femmes qui développent un trouble vers 25 ou 30 ans. Les filles de 12 ans ne deviennent pas anorexiques pour être minces et sexy comme les modèles des magazines. Au contraire, elles rejettent toute forme de sexualisation: elles régressent sur le plan hormonal, ne développent plus leurs seins, cessent d’avoir leurs règles…"

Interpellée par ce projet, mais admettant que l’idée d’écrire une bande dessinée ne lui "était jamais passée par la tête", Villeneuve dit avoir entrepris son travail "un pas à la fois": "J’ai donc commencé par un travail de journaliste, en rencontrant plusieurs fois le Dr Wilkins, qui m’a donné un accès privilégié à sa pratique et à ses patientes, avec qui j’ai fait une série d’entrevues pour vivre avec elles, pour voir comment ça se passait dans leur tête."

À l’histoire de Flavie, jeune fille de 15 ans dont on suit le parcours à travers la maladie puis la guérison, s’intercale donc l’enquête d’une journaliste pour un magazine féminin qui rencontre le Dr Wilkins, que la BD met également en scène. Personnage coloré aux méthodes "un peu raides", ce Wilkins est un objet d’intérêt en soi pour Villeneuve: "Il préfère considérer l’anorexie comme une maladie comme une autre. Pour lui, si les signes vitaux sont faibles, si les doigts ne se colorent plus, si la fille n’est plus menstruée et que son pouls est faible, il faut guérir le corps. Il ne craint pas de brasser ses patientes, ce qui fait qu’il n’est pas toujours aimé par les psychologues…"

Bien que la bande dessinée offre une information de base sur l’anorexie, "manière de se définir" donnant "l’impression d’avoir enfin une prise sur quelque chose", Villeneuve a choisi d’aborder le sujet de façon quasi impressionniste. "Certes, il fallait un contenu didactique, expliquer les faits et faire tomber les idées reçues. Mais je ne voulais pas d’images spectaculaires de filles maigres, cadavériques, qui se regardent dans le miroir et se trouvent grosses. Je voulais qu’il y ait beaucoup de respect, que les filles que j’ai rencontrées puissent s’identifier à ce que je fais et puissent me dire que ça leur ressemble."

Villeneuve explique avoir "magasiné" en quête d’une illustratrice "un peu rebelle", jusqu’à ce qu’elle tombe sur Julie Rocheleau, dont c’est aussi la première BD. "Julie n’est pas conventionnelle: tout change au fil de l’album, le trait, les visages et même les cheveux des personnages, s’adaptant au propos, à la façon dont Flavie se sent. C’est une dessinatrice qui fait fi des conventions, mais qui maîtrise ce qu’elle fait. Il y a aussi un incroyable travail sur les couleurs, des couleurs salies qui, elles aussi, changent à chaque page, jouant avec les ombrages, utilisant beaucoup le noir." Mais pas un noir de "désespoir", corrigera Emilie Villeneuve, "un noir de mal-être"…

La Fille invisible
d’Emilie Villeneuve (scénario)
et Julie Rocheleau (dessin et couleurs)
Éd. Glénat Québec, 2010, 48 p.

La Fille invisible
La Fille invisible
Emilie Villeneuve, Julie Rocheleau
Glénat Québec