Doris Lessing : Sous le vernis
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Doris Lessing : Sous le vernis

Dans Victoria et les Staveney, Doris Lessing dévoile une fois de plus l’hypocrisie que recèle la rectitude politique anglo-saxonne.

Lorsque sa tante qui en a la garde est transportée d’urgence à l’hôpital, la petite Victoria, une orpheline de race noire, va passer la nuit chez une famille aisée dont l’un des fils, Thomas, est dans la même classe qu’elle. Dans l’immense demeure où elle est transplantée, Victoria se montre impressionnée par la richesse et le mode de vie de ces Staveney, Britanniques de vieille souche dont le père se fait un point d’honneur d’envoyer ses fils dans une école publique pour leur faire connaître cette "autre moitié du monde" à laquelle appartient Victoria, celle des moins bien nantis, des "perdants de la société".

Grandissant par la suite avec le souvenir persistant de cette maison et de ce monde brièvement entraperçu, Victoria deviendra vendeuse chez un disquaire où, quelques années plus tard, elle croisera Thomas avec qui elle entretiendra une liaison l’espace d’un été. De leur union naîtra une fillette, Mary, à qui le grand-père Staveney, mis au courant de son existence, entreprendra d’imposer une éducation fort différente de celle donnée autrefois à ses fils, voulant préserver l’enfant du triste destin de sa mère. Désirant le meilleur pour sa fille, Victoria comprendra peu à peu qu’elle n’aura d’autre choix que de la perdre.

Dans son roman Vaincue par la brousse (paru en français en 2007, l’année où elle reçut le prix Nobel de littérature), Doris Lessing imaginait la liaison dramatique entre une femme de colon blanc et un domestique noir. L’écrivaine britannique reprend cette délicate question de la tension raciale, mais dans un cadre londonien et au sein même de cette bourgeoisie libérale qui pratique la rectitude politique sans même se rendre compte de la profondeur de ses préjugés.

Pour ce bref roman inclassable, dont l’enjeu central demeure l’éducation d’une enfant à cheval sur deux mondes, Doris Lessing n’a pas vraiment besoin de sortir ses griffes. C’est bel et bien de l’intérieur que l’écrivaine entreprend de décrire une certaine culture de la charité – typiquement protestante – qui donne bonne conscience à celui qui la pratique, tout en maintenant fermement les différences entre les classes sociales et les races. Il fallait une bonne dose de psychologie et de subtilité, de celles dont fait preuve la nonagénaire Lessing, pour illustrer toute cette ambiguïté avec finesse, sans verser dans le manichéisme.

Victoria et les Staveney
de Doris Lessing
Trad. par Philippe Giraudon
Éd. Flammarion, 2010, 150 p.

Victoria et les Staveney
Victoria et les Staveney
Doris Lessing. Traduction par Philippe Giraudon
Flammarion