Philippe Girard : Morts en série
Dans son dernier album, Philippe Girard trace la quête d’un homme qui reprend goût à la vie à travers la mort des autres.
Homme "transparent qu’on ne remarque pas", travaillant chaque jour à des tâches minuscules sans se poser de questions, Maurice Petit sent que son existence est sur le point de basculer. Sous le coup de l’injonction "Agissez maintenant" que lui assène son horoscope du matin et de la notice nécrologique d’un ancien camarade de classe lue dans le même journal, Maurice décide de quitter son bureau de fonctionnaire tristounet pour se rendre aussitôt à l’église où ont lieu les funérailles et où il prononcera un éloge improvisé mais totalement inspiré du disparu. S’attirant la sympathie immédiate de l’auditoire, il entreprendra par la suite une véritable carrière d’orateur funèbre. Ainsi le verra-t-on courir les cérémonies funéraires de la ville où, insufflant de l’espoir aux vivants, il se méritera la réputation de "poète de l’éternité" et surmontera l’angoisse de sa propre finitude.
Après Tuer Vélasquez, paru l’an dernier et qui explorait la veine autofictionnelle, le Philippe Girard nouvelle mouture, au dessin et au propos d’une grande maturité, nous livre cet album ambigu, consacré au parcours d’un véritable antihéros postmoderne. Car on ne ressort pas de cette Visite des morts comme au terme d’une banale bande dessinée, celle-ci abordant de front la question de la mort qui, lorsqu’on en prend soudainement conscience, s’accompagne d’une sorte d’exhortation à profiter de la vie. Et c’est dans les moments où Maurice est à côté de la plaque – ainsi rend-il hommage à un homme dont il ignorait le métier de tueur à gages – qu’il se montre sans doute le plus sublime dans sa quête personnelle de sens. Cette saine naïveté dont il ne peut se départir fait la majeure partie de son charme et de son humanité.
Avec sa narration aux accents épiques, truffée de métaphores ronflantes qu’on lit d’abord au second degré, comme une ironie convenue, ce livre nous happe peu à peu. Le dessin, simple et aux traits gras, présente de beaux aplats de noir, les séquences explorant différents types de plans de manière quasi cinématographique, plus particulièrement au début de l’album. Agencées de façon efficace et poétique, celles-ci épousent la métamorphose de ce protagoniste porté par une grâce subite qui lui inspire la voie à prendre et le fait, littéralement, naître au monde.
La Visite des morts
de Philippe Girard
Éd. Glénat Québec, 2010, 84 p.