Frankétienne : Frankétienne: poète et prophète en son pays
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Frankétienne : Frankétienne: poète et prophète en son pays

Véritable potomitan de la culture haïtienne, Frankétienne présente sa pièce poétique et prophétique Melovivi au Festival international de la littérature.

Écrivain, artiste visuel, chanteur, homme de théâtre, Frankétienne s’amuse à faire mentir le proverbe selon lequel "nul n’est poète en son pays". Poète, certes, mais aussi un peu prophète, il apparaît à 74 ans comme un véritable potomitan (pilier central du temple vaudou) de la culture d’Haïti, chez lui comme à l’international.

Pourtant, ce géant qui projette son ombre sur les lettres haïtiennes depuis près d’un demi-siècle a vu son oeuvre demeurer pendant longtemps un des secrets les mieux gardés de sa moitié d’île. "Parce que mon écriture n’est pas accessible au premier degré, j’ai été longtemps comme un général sans armée, explique-t-il. J’écrivais, je publiais, mais on ne me lisait pas. Je faisais chier les gens et j’en avais conscience, c’était un choix: je voulais produire une oeuvre tout à fait novatrice. C’est quand j’ai abordé le théâtre qu’on s’est intéressé à mon travail. Après Troufobon, montée sous Baby Doc en 1977, j’ai produit Pèlin-Tèt [une adaptation des Émigrés de Mrozëk] qui a déclenché une sorte d’explosion, d’autant plus qu’au contraire de mon oeuvre littéraire où dominent des préoccupations esthétiques également présentes dans ma dramaturgie, les dimensions épique et idéologique ont été à l’avant-scène dans mon oeuvre théâtrale."

Sans doute cette conception du théâtre n’est-elle pas sans rapport avec les contacts antérieurs de l’écrivain avec les planches, à la fin des années 50. "Je me rappelle avoir assisté et participé aux prestations d’un groupe qui s’appelait Jeune Culture. Ça remonte au début du régime de François Duvalier, je n’avais pas encore 20 ans. La troupe avait joué Caligula d’Albert Camus, où je tenais un rôle de figurant. J’ai dès lors pris goût au théâtre. D’abord parce que le théâtre de Camus est un théâtre très particulier, un théâtre engagé et marqué par cette dimension de l’absurde qui rejoint le mode de vie de chez nous. Bien avant Philippe Soupault, les dadaïstes, Tristan Tzara et les autres, Haïti a été et demeure un pays surréaliste." Du même souffle, l’auteur de Dézafi reconnaît l’influence qu’a exercée sur lui son proche ami René Philoctète [1932-1995], qui cofonda avec Jean-Claude Fignolé et Frankétienne le mouvement littéraire du spiralisme et qui, surtout, donna au théâtre haïtien plusieurs oeuvres charnières dans les années 60.

Vision du chaos

Sans frivolité, Frankétienne évoque la genèse de sa pièce Melovivi ou Le Piège, écrite l’automne dernier, dont le propos écologique s’est révélé prémonitoire; interprétée par Frankétienne en duo avec Garnel Innocent, cette allégorie du chaos planétaire met en scène deux survivants coincés sous des dalles de béton au lendemain d’un séisme étrangement semblable à celui qui a frappé Haïti en janvier dernier. "Avec l’âge, la dimension mystique se manifeste de plus en plus; je ne suis pas religieux, il y a une énorme différence entre être mystique et être religieux. Mais il y a comme une voix qui m’a parlé au cours du mois de novembre pour me dire qu’Haïti était menacée au premier degré, que toute la planète était menacée et, surtout, qu’il y aurait de graves événements au cours de 2010. Dans la nuit du 15 novembre, j’ai commencé à écrire de manière spontanée la pièce que j’entendais présenter dès décembre."

Résolument moderne dans sa forme (comme l’ensemble des textes de Frankétienne), Melovivi a connu depuis le printemps un accueil enthousiaste en Haïti comme à l’étranger. "Nous avons été frappés dans ce qui nous est proche, nos maisons, nos amis, nos voisins, nos parents sont morts, le bas de la ville est totalement dévasté, rappelle l’écrivain visionnaire. Il y a donc eu une réponse émotive au premier degré à cette pièce en Haïti. Mais je ne m’attendais pas à une réaction pareille à l’étranger; c’est sans doute lié à toute cette attention dont Haïti a fait l’objet. Pendant près de deux mois, Haïti a été à la une de tous les journaux et de tous les bulletins d’information radio ou télé du monde. Peut-être à cause de ça, Melovivi a bénéficié d’une écoute particulière. En outre, le public francophone a été très sensible en reconnaissant la valeur universelle de ma pièce."

Fébrile à l’idée de la jouer à Montréal, Frankétienne n’a qu’un désir: "Que mes frères québécois et haïtiens soient nombreux à la Place des Arts pour m’entendre." Souhaitons-lui que son voeu se concrétise.

Melovivi ou Le Piège
Texte, mise en scène et interprétation de Frankétienne, avec Garnel Innocent
Les 23 et 24 septembre
À la Cinquième Salle de la Place des Arts
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