Tassia Trifiatis : Trous de mémoire
Trois ans après Judas, qui nous a fait découvrir Tassia Trifiatis, la jeune écrivaine publie un nouveau roman consacré au lien précieux unissant une femme à sa grand-mère.
Explorant les souvenirs qu’elle conserve de sa grand-mère québécoise, une jeune femme prénommée Joseffa décrit la complicité qu’elle partageait avec cette dernière en l’absence de sa mère, et notamment sur le bord du lac Tibériade, à Sainte-Véronique dans les Laurentides. Une grand-mère avec qui le lien ne sera jamais vraiment rompu, malgré la séparation d’une année qui a eu lieu à l’occasion d’un séjour en Grèce puis d’un voyage en Israël où, sur le bord d’un autre lac Tibériade, Joseffa a l’impression de retrouver un peu de ce "deuxième parent", "cette grand-mère si chère qui [lui] avait servi de père" et qui attend son retour à l’autre bout du monde.
En 2007, Tassia Trifiatis a fait une entrée remarquée dans notre paysage littéraire avec Judas, roman maîtrisé aux accents durassiens qui racontait l’histoire de deux amants, une jeune fille d’origine grecque et un juif hassidique, que tout séparait. Dans Mère-grand, la jeune auteure montréalaise opère un étonnant changement de propos et de registre en se consacrant à un rapport familial somme toute peu exploité en littérature (en comparaison de la fortune dont jouit le lien maternel chez les écrivains de toutes les époques), entre une femme et sa grand-mère.
S’il continue d’aborder les questions des racines, du métissage culturel, de même que la relation particulière que l’humain entretient avec son territoire, ce second roman met davantage l’accent sur les motifs de la perte et de la mort. Décliné en une série de "Dimanches du temps ordinaire", le texte retrace ainsi les déménagements successifs de la vieille femme, de la maison à l’hospice, puis de l’hospice à l’hôpital, à une époque où la narratrice, "un goût de fin d’époque dans la bouche", l’accompagne, durant les derniers temps de sa vie.
C’est un accompagnement douloureux, comme on peut s’en douter, et qui nous est décrit avec sensibilité à mesure que, ajouté au déclin inéluctable du corps (avec les chutes et les fractures qui semblent le lot inévitable des vieillesses prolongées) se désagrège rapidement l’esprit de celle dont la mémoire ressemble de plus en plus à "une poupée russe à laquelle il manque quelques demoiselles". Dans son entreprise visant à récupérer la mémoire de l’aïeule en même temps qu’à lui offrir un soulagement passager, Joseffa avouera: "Être présente à ma grand-mère se définissait par l’attente de sa mort. […] J’étais déchirée entre mon désir qu’elle meure et mon désir d’atteindre avec elle le fond de sa démence."
Mère-grand
de Tassia Trifiatis
Éd. Leméac, 2010, 134 p.