Louis Hamelin : Gestion de crise
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Louis Hamelin : Gestion de crise

Paraît enfin l’un des titres les plus attendus de l’automne, La Constellation du Lynx, un roman aux allures d’enquête historique permettant à Louis Hamelin de radiographier les événements d’Octobre 70 avec une acuité peut-être jamais atteinte.

On parlera beaucoup de la crise d’Octobre, ces prochaines semaines. Quarantième oblige, les uns et les autres reviendront sur l’enlèvement par le Front de libération du Québec de James Richard Cross puis de Pierre Laporte, sur le nébuleux assassinat de ce dernier, comparant les différentes versions des faits, des plus officielles aux plus farfelues. Aussi étonnant que cela puisse paraître, pourtant, la contribution principale aura la forme d’une fiction.

Fruit d’un chantier romanesque de dix années, La Constellation du Lynx est l’ultime tentative de Louis Hamelin pour éclairer les zones demeurées floues. "Il y a longtemps que je m’intéresse à Octobre 70, nous dit l’écrivain. Longtemps que je lis tout ce qui s’y rapporte, des dossiers de presse, les différents livres parus, celui de Pierre Vallières entre autres. Mais l’élément déclencheur, ça a été durant les recherches que je menais dans le but d’écrire un livre sur le Québec, un livre autour de personnages ayant marqué notre histoire. Je me suis alors penché sur le cas du felquiste Francis Simard, un homme fascinant, qui de toute évidence porte un secret."

Rappelons que Simard, l’un des membres de la cellule Chénier, celle qui a séquestré Pierre Laporte, a aussi témoigné dans son livre Pour en finir avec Octobre, un livre qu’Hamelin dit bourré de trous et de "silences assourdissants". "Ensuite, poursuit-il, j’ai reçu cette invitation de Jean-Daniel Lafond, bien avant qu’il ne soit appelé à de hautes fonctions, en tant que conjoint à tout le moins [rires]. À l’époque cinéaste, il m’avait enrôlé comme recherchiste pour un film consacré à Jacques Ferron. Ferron qui est le premier à avoir crié au complot dans l’affaire d’Octobre."

Durant la recherche, Louis Hamelin réalise qu’il existe sur la crise des recherches plus approfondies qu’il ne le croyait, recherches aujourd’hui occultées. C’est le déclic, le romancier entrevoit la possibilité de revisiter, à travers une fiction documentée, crédible, cet épisode d’un passé somme toute récent sur lequel planent encore de larges pans d’ombre. "L’histoire, soutient Hamelin, ça a toujours été une guerre entre différentes versions des faits: à un moment il y en a une qui s’impose. Dans le cas de la crise d’Octobre, plusieurs éléments font, à mes yeux, que la version officielle ne tient pas debout."

CELLULES SOUCHES

Au fil de patientes lectures et de recoupements, Hamelin développe la conviction que le gouvernement fédéral et la GRC ont été bien moins pris de court que ce qu’on en a dit. La crise, les autorités l’auraient très clairement vue venir, et en auraient tiré parti. Laisser le FLQ aller si loin, et à la rigueur l’encourager à aller si loin, n’était-ce pas le pousser à se compromettre tout à fait?

Sans compter que la mort de Laporte ("Lavoie", dans le roman) fait l’affaire de tout le monde, donnant un martyr au gouvernement fédéral, débarrassant le Parti libéral du Québec d’un élément encombrant puisque compromis avec le crime organisé (Hamelin rappelle cet aspect un peu oublié, documentation à l’appui). "Il a tout du bouc émissaire. Il existe des textes très intéressants sur la violence rituelle, de René Girard entre autres, selon lesquels le bouc émissaire permet de refaire l’unité de la communauté…"

Dans l’oeil du cyclone aussi, les choses ne se seraient pas passées comme l’ont dit plusieurs. Hamelin n’hésite pas à s’inscrire en faux contre Pierre Falardeau et son film Octobre, par exemple. "Le film est très bon et j’avais beaucoup d’estime pour le camarade Falardeau, mais je dois dire que l’idée de faire de cette histoire un huis clos, choix cinématographique que je respecte, un choix lié aux moyens qu’il avait aussi, sans doute, me semble très restrictif."

Chez Hamelin, la cellule Chénier – ici appelée "Chevalier" – est très ramifiée. Comme le FLQ dans l’ensemble, qui relève d’une organisation complexe et est tout sauf replié sur lui-même. "À ce titre, il est intéressant de rappeler que de jeunes Québécois se sont entraînés en Jordanie, on le sait. Des felquistes formés avec des Palestiniens, qui disaient déjà, à l’époque, vouloir revenir au Québec pour y opérer des enlèvements sélectifs."

L’ART DU ROMAN

Conscient des difficultés qu’allait poser l’entreprise, Louis Hamelin a longtemps pensé se tourner vers l’essai. "Je dois dire que je me suis parfois senti crucifié à l’histoire du Québec! Je sentais que je n’avais pas le droit d’inventer n’importe quoi. Par contre, je savais que l’imagination romanesque pouvait me permettre de m’aventurer sur des terrains où l’histoire s’aventure très peu."

L’avantage du romancier, en quelque sorte, que de pouvoir donner corps à des hypothèses. "L’histoire pourrait apparaître comme un simple matériau de la fiction, mais dans ce cas-ci, j’ai collé d’assez près à la vraie histoire. À ce que je crois être la vraie histoire en tout cas. Je n’ai sans doute pas 100 %, mais probablement pas loin", conclut-il avec une assurance qui ne restera certainement pas sans écho.

Notre critique paraîtra jeudi prochain.
La Constellation du Lynx
de Louis Hamelin
Éd. du Boréal, 2010, 600 p.

La Constellation du Lynx
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