Catherine Mavrikakis : La fuite du temps
Livres

Catherine Mavrikakis : La fuite du temps

Catherine Mavrikakis réfléchit sur son parcours et sur notre époque dans une cinquantaine de chroniques parues sur son blogue et réunies en livre chez Héliotrope.

Dans La Presse de samedi dernier, dont plusieurs pages sont consacrées à la commémoration d’Octobre 1970, Nathalie Collard et Nathalie Petrowski s’interrogent sur la tournure éventuelle qu’auraient prise les événements s’ils avaient eu lieu à l’époque des réseaux sociaux virtuels. Question pertinente qui a dû intéresser Catherine Mavrikakis dont le passionnant "e-carnet", venant d’être publié sous la forme d’un vrai livre, se penche notamment sur la plateforme même de sa première parution. Elle y réfléchit ainsi sur le travail de deuil ayant suivi le décès d’un ami pour qui une page spéciale a été créée sur Facebook, sorte de "mur des lamentations" sur lequel chacun se sentait libre d’inscrire son témoignage.

Pour Mavrikakis, l’écran de l’ordinateur permet ainsi "de sculpter la matière même de notre douleur, de la modeler selon nos besoins, de lui donner une forme, une communauté". Avouant modestement: "Je ne suis pas beaucoup plus que l’époque qui m’a formée", l’écrivaine de près de 50 ans ajoute: "Que Facebook soit devenu un "lieu" de sépulture sur lequel nous pouvons nous recueillir ne me choque pas. Les cimetières ne sont peut-être plus appropriés de nos jours. L’incinération, la disparition de la matière dans la crémation ou le virtuel de l’écran nous demande d’inventer de nouveaux rituels d’amitié et de deuil…"

Paraissant à la suite des deux premiers tomes de son cycle romanesque américain (Omaha Beach et Le Ciel de Bay City, encensés par la critique), les 52 textes revus et corrigés de L’Éternité en accéléré ont d’abord vu le jour sur le blogue de celle qui est aussi professeure de lettres à l’Université de Montréal. S’y révèle un véritable talent pour la chronique, née davantage de la réflexion quotidienne que de l’humeur, déclenchée parfois par de grands moments de l’actualité (la mort d’un Michael Jackson, l’élection d’un Barack Obama…), parfois par la simple lecture d’une notice nécrologique, d’un fait divers ou du travail d’un de ses étudiants…

Plusieurs sujets sont passés en revue sous l’oeil scrutateur, original et par moments ironique de l’auteure, allant de l’obsession contemporaine de la réalité à l’apaisement qu’apporte l’oubli, en passant par l’emprunt servile du vocabulaire des sciences pures dans les domaines des sciences humaines et des lettres. Domaines en crise, selon elle, où les mots "recherche" et "science" ne font que cacher un malaise croissant à une époque où les intellectuels doivent justifier leur existence même.

Catherine Mavrikakis livre beaucoup d’elle-même dans son carnet, notamment de son enfance dans le Michigan et dans la banlieue montréalaise entre un père fou au volant et une mère nostalgique de sa France natale. Comparant le zapping devant l’écran du téléviseur à la libre association des séances de psychanalyse qui lui offrent un "déséquilibre salutaire" et, au final, une "vraie méthode de réflexion", elle nous y apparaît comme une attachante anticonformiste, fréquentant avec profondeur les oeuvres de Barthes, Adorno et Proust, mais se plaisant à s’identifier à la méchante Mrs. Danvers, personnage de Daphné Du Maurier dans Rebecca. Pour Mavrikakis, la littérature a quelque chose qui ressemble un peu à la salle d’attente de la vraie vie: "Je rêve d’arrêter toute écriture et de vivre enfin. Je ferais n’importe quoi pour me retrouver telle que je n’ai jamais été."

L’Éternité en accéléré
de Catherine Mavrikakis
Éd. Héliotrope, 2010, 278 p.

L'Éternité en accéléré
L’Éternité en accéléré
Catherine Mavrikakis
Héliotrope