William S. Messier : Journée d'Amérique
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William S. Messier : Journée d’Amérique

À travers une mythologie inventée et un premier roman folk touchant, William S. Messier nous permet de renouer avec nos racines américaines.

On avait remarqué l’auteur d’Épique dès la parution de son premier livre, Townships (2009), florilège de micro-légendes issues des Cantons-de-l’Est. À travers ces récits impressionnistes et amusés, déballés par fragments, on avait apprivoisé la mythologie régionale du coin, la sensibilité américaine d’une nouvelle plume qui s’applique à défricher un territoire peu visité en littérature québécoise.

Avec Épique, son premier roman, William S. Messier, né à Cowansville, reste fidèle à ses origines… ou presque. "Je viens de là, ce sont mes racines, mais je ne me sens pas investi d’un quelconque devoir de mémoire. J’invente les légendes que je mets en scène. Ce qui m’intéresse en littérature, c’est de donner un aspect folklorique à des récits personnels. Mon ambition avec Townships était de créer de petits récits qui pouvaient appartenir autant à l’expérience commune qu’à quelque chose de précis, des instantanés à la Raymond Carver. Pour Épique, j’ai visé plus large."

Dans ce roman paru en août, on suit Étienne, antihéros attachant qui, après avoir quitté un emploi de commis dans une pharmacie, se fait engager comme équarrisseur adjoint pigiste – ramasseur de charogne, en d’autres mots – auprès d’une légende de Brome-Missisquoi, Jacques Prud’homme, dont on raconte qu’il aurait le don d’ubiquité. Cela se passe à l’été 2005, l’été du déluge. "Je suis sensible aux tall tales américains, dit celui qui y a même consacré un mémoire de maîtrise. Il s’agit de récits fondés sur une extravagance, mais le défi est de raconter le tout avec le visage le plus placide qui soit, comme pour banaliser l’événement. Les tall tales sont apparus avec la ruée vers l’or, dans les témoignages des prospecteurs, et on en a fait un style littéraire dans lequel Mark Twain est passé maître."

William S. Messier jette un regard attendri sur des personnages plus grands que nature, antihéros sympathiques, jobbeurs, truckeurs, waitress. Il y a quelque chose de folk dans cette écriture, dans le sens d’une musique du peuple, enracinée. "Oui, une musique sans prétention qui représente la vie des gens au quotidien… C’est presque balsacien quand on y pense", précise le mélomane qui cite volontiers les démarches de groupes alt-country, folk indé ou americana, les Wilco, Sufjan Stevens et Avec Pas d’Casque. "J’aime comment ces artistes actualisent des formes classiques. Moi, je veux construire une oeuvre avec un petit côté vieillot, qu’on sente presque la poussière dans le texte."

"Les temps sont épiques et demandent des mesures proportionnelles: on sauvera le bétail du grabuge, on répondra au grandiose par du grandiose", écrit Messier. Vous l’aurez compris, l’ancrage dans la réalité est facultatif. "Récemment, on a vu apparaître une forme de nouvel optimisme en littérature américaine contemporaine, observe l’auteur de 26 ans. Les Miranda July, Dave Eggers et compagnie se sont lassés du ton ironique qui a culminé chez certains écrivains associés à la génération X, Bret Easton Ellis, etc., et moi j’ai allumé là-dessus. Que ce soit par des touches de surnaturel ou en mettant en scène des personnages sincères mais pas naïfs pour autant, pourquoi on n’essaierait pas de s’épater mutuellement avec notre littérature?" Le défi est lancé.

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Épique
William S. Messier

Dès son premier livre, Townships (2009), William S. Messier nous avait fait découvrir ses antihéros attachants et ce coin de pays qui exalte la fibre américaine en nous, le tout dans de belles nuances ocre et sépia, à travers une écriture limpide et un imaginaire foisonnant. Le charme opérait, mais ça partait un peu dans tous les sens. Dans Épique, on sent la volonté de donner une forme à cette petite mythologie fictive, de construire un récit. Pari tenu dans l’ensemble, même si on voit dépasser quelques fils et que ça se bouscule vers la fin. Messier se permet d’intégrer quelques expressions des Cantons-de-l’Est. Sans verser dans une langue joualisante caricaturale, il pourrait aller encore plus loin dans l’expérimentation langagière, même au plan de l’écriture. Humour décalé, sens de la digression signifiante, un plaisir évident de portraitiste et la jubilation de raconter sont au rendez-vous chez cet auteur qui vient d’éclore et que l’on gardera à l’oeil. Éd. Marchand de feuilles, 2010, 273 p.