Mathyas Lefebure : Il danse avec les fous
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Mathyas Lefebure : Il danse avec les fous

Vous cherchez un truc pour avoir des choses pas banales à raconter? Pourquoi ne pas héberger des fous?

Situons d’abord l’auteur: vous vous rappelez le mec qui avait quitté le milieu de la pub pour devenir berger en Provence? C’est Mathyas Lefebure. D’emblée, son audace avait piqué notre curiosité et son premier roman, D’où viens-tu berger?, avait su rallier les citadins cyniques en quête de sens, mais pas qu’eux.

Son second roman repose lui aussi sur une idée qui fait mouche: une grand-mère déçue de la vie décide d’héberger des fous pour enfin devenir la femme originale qu’elle a toujours voulu être. Dans son "petit patelin anonyme d’Amérique du Nord", Philomène accueille les Monsieur Propre, Colonel Coucou, Barbe-Bleue et consorts, en plus d’avoir la garde de deux de ses petits-enfants: Jonathan, qui fréquente une école alternative où ses dessins inspirés des fous font forte impression, et Alex, qui expérimente les vertus créatrices du LSD.

La narration comporte trois voix, celles de Philomène et de ses petits-fils, et donne lieu à trois regards distincts sur l’épopée folle qui finit par occuper une large place dans le temple du ragot qu’est le salon de coiffure du village, où l’on s’adonne à "l’un des plaisirs les plus charnus de la Normalité: la médisance". C’est le grand drame de Philomène, vouloir que sa vie soit plus qu’un racontar insignifiant. Elle personnifie la soif universelle de se raconter, de faire de l’existence une histoire qui perdurera après la mort. "Je n’étais pas faite pour vieillir sans pouvoir raconter des grandes histoires. Pas des choses insignifiantes comme les autres commères de la ville qui parlent de leurs enfants ou de leurs maladies au bingo. Des choses comme dans les livres, des choses que les gens oublient jamais." Mais on ne cohabite pas impunément avec la Folie et le salut risque de se transformer en malédiction…

À la croisée de Fred Pellerin et de Réjean Ducharme, Lefebure manie la langue d’une manière si originale qu’elle nous emporte bien au-delà des mots, dans un ailleurs qui continue à vivre en nous après qu’on eut refermé le livre, un talent rare auquel s’ajoutent un sens de la formule redoutable et une imagination singulière. Cré fou, va.

Le Grand Livre des fous
de Mathyas Lefebure
Éd. Leméac, 2010, 167 p.

Le Grand Livre des fous
Le Grand Livre des fous
Mathyas Lefebure
Leméac