Michel Alzéal : S’illustrer
Michel Alzéal concocte une puissante bédé originale uniquement à partir d’extraits de chansons de Daran. Un travail méticuleux et fabuleux qui souligne la fusion de deux arts.
Peut-être est-ce un cas unique dans l’histoire de l’art français? On a souvent illustré des chansons, en commençant par les petits formats au 19e siècle: on imprimait la partition, les paroles et on agrémentait souvent d’un dessin. On vendait ça aux gens pour populariser les couplets, que ça descende dans la rue et dans les foyers. Des décennies plus tard, des bédéistes mettaient en images des chansons déjà existantes, un peu à la manière d’un clip: Renaud, Brel, Brassens, Piaf, Vian, etc.
Cette fois-ci, c’est autre chose. Michel Alzéal n’a pas simplement fait une bédé avec une chanson de Daran, il a plutôt construit une histoire originale en utilisant seulement des extraits des paroles du chanteur et de ses paroliers (Miossec, Pierre-Yves Lebert, Alana Filippi, Didier Balducci). Pour raconter son récit, il mêle subtilement, avec beaucoup de finesse, des paroles souvent écrites avec des années d’écart (une décennie, même). Et ça colle. L’oeuvre de Daran n’y perd rien; elle gagne même en cohérence. Alzéal est allé chercher des vers particulièrement sombres pour narrer le quotidien d’un couple rongé par les habitudes, l’envie de rêver, d’être ailleurs. La fuite, la spirale de l’angoisse et des regrets. Évidemment, tout cela n’est guère réjouissant mais, comme dans les bonnes oeuvres, le talent transcende tout.
Cette bédé impressionne de bout en bout. Jamais on ne perçoit de lourdeur dans la narration sous prétexte qu’elle est faite de collages. Une fluidité enchanteresse: "Je suis nomade et sans appui dans l’existence. Je n’ai pas accepté de rentrer dans la danse. (…) J’ai dessiné mes rêves en forme de soleil pour qu’ils échappent au monde étrange de mes nuits."
Il va sans dire que certains daranmaniaques, ceux qui connaissent par coeur les six disques utilisés par Alzéal, risquent de devenir fous en se rappelant une mélodie différente par bulle, mais est-ce que le jeu n’en vaut pas la peine?
Couvert de poussière
de Michel Alzéal
Scherzo Production, 2009, 48 p.
En vente dans les Renaud-Bray et Archambault ainsi qu’aux spectacles de Daran. Le bédéiste accompagnera la tournée québécoise de Daran au Coup de coeur francophone 2010 pour dessiner pendant les représentations.