Arabitudes : Québécois pur beurre
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Arabitudes : Québécois pur beurre

En marge du 11e Festival du monde arabe (FMA), les éditions Fides publient Arabitudes, un livre qui revient sur dix ans de réflexion et de débats. Lucide et vivifiant.

Ce livre, sous-titré L’Altérité arabe au Québec, c’est Henda Ben Salah, responsable de la programmation du Festival, qui l’a dirigé. Mais ses premiers mots sont pour remercier Joseph Nakhlé, fondateur et directeur du FMA: "C’est Joseph qui a eu l’idée de ce livre, et il m’a fait le cadeau de m’y associer. Le projet était de dresser le bilan de dix années de réflexion." C’est aussi lui qui a trouvé ce nom "arabitudes", et comme il se doit, c’est lui qui en parle le mieux, dans un texte magnifique, à lire intégralement mais dont voici un extrait: "L’arabitude, c’est toute femme arabe qui se dévoile pour démasquer une morale islamique puritaine, mensongère et grégaire. C’est aussi toute femme occidentale qui se voile pour dénier une pseudo-civilité hypocrite, haineuse, et non moins grégaire."

C’est donc dans cet esprit qu’ont été réunis universitaires, artistes, journalistes… tous artisans du FMA, à un moment ou un autre, et qui livrent ici témoignages et réflexions. Le résultat est un ouvrage magnifique, à mille lieues de la noirceur habituelle ou de l’angélisme qu’on lui oppose trop souvent.

TELS QUELS

La démarche du livre tient en deux points, résume Henda Ben Salah. "Premièrement, l’immigration n’est ni un concept, ni une idéologie, mais bel et bien un fait de société qu’il faut accompagner et même encourager. Deuxièmement, c’est en regardant l’autre d’un peu plus près qu’on le comprend le mieux." Alors le livre – tout comme le FMA – invite à regarder de plus près. À voir cette "altérité arabe" qui se montre en pleine lumière. Ni masquée, ni exacerbée, ni coupable, ni victime. "Nous refusons la revendication ou la victimisation, et par-dessus tout, nous refusons d’avoir à nous justifier", dit Henda Ben Salah.

Et, face aux faits divers qui cristallisent parfois l’opinion, face aux préjugés que véhiculent les médias, elle prône la preuve par l’exemple. "La seule réponse est de nous montrer tels que nous sommes. Nous n’avons pas de message à faire passer si ce n’est celui-là: voilà qui nous sommes, et voilà comment nous vivons, pensons, créons." Et elle ajoute: "Nous cherchons à créer chez nos contemporains une nouvelle propension à regarder l’autre d’un oeil neuf. Peut-être qu’à force, ils finiront par comprendre à quel point les cultures arabe et occidentale se ressemblent."

DEMI-TEINTE

Il est enthousiasmant de s’entretenir avec Henda Ben Salah, de même que de lire le livre Arabitudes. Enthousiasmant d’entendre s’élever toutes ces voix pour appeler à plus de dialogue interculturel. Mais il est glaçant, aussi, de lire certains témoignages, ceux qui disent le rejet, la peur et l’incompréhension que l’on croise, parfois, dans les yeux des autres. Tout comme il est glaçant d’apprendre, sous la plume de Jean-Claude Roy, que le Québec "dans l’ensemble des grandes provinces du pays [est] au tout dernier rang, loin derrière, pour le nombre d’immigrants". Et que même Montréal – qui regroupe 86,9 % des immigrés du Québec! -, même Montréal la multiculturelle affiche une proportion d’immigrants très modeste "comparativement aux grandes métropoles du monde". Glaçant encore de lire les chiffres du chômage, faramineux pour une population pourtant deux fois plus éduquée que la moyenne québécoise.

C’est cela, Arabitudes: un livre plein d’optimisme et de raisons d’espérer, mais aussi un livre qui dresse le constat d’un échec: celui du Québec et des Québécois à saisir pleinement les enjeux de l’immigration.

Arabitudes. L’Altérité arabe au Québec
sous la direction de Henda Ben Salah
Éd. Fides, 2010, 288 p.