Bret Easton Ellis : Plongée de surface
Bret Easton Ellis renoue avec la bande de fils à papa désenchantés et pétrifiés par l’ennui qui l’a rendu célèbre, mais sa magie noire n’opère qu’à moitié.
Dès les premières phrases, on replonge. Même ton désincarné, même phrasé hachuré, même style lisse d’une prose frigorifique qui sert un récit où l’on glisse sur la surface des choses.
Vingt-cinq ans après la parution de Moins que zéro, le roman qui plaça un tout jeune Bret Easton Ellis aux côtés de Jay McInerney (Bright Lights, Big City) à la tête du Brat Pack (pseudo-mouvement littéraire qui devait tourmenter des années 80 où triomphaient le luxe et la superficialité), l’auteur rend ici visite à l’accablante galerie de jeunes adultes qui peuplait sa première publication.
En narrateur, on y retrouve Clay, 45 ans, désormais scénariste, renouant avec son ancienne clique, elle aussi occupée à fabriquer des illusions pour les autres et pour elle-même dans le milieu du cinéma hollywoodien. Pas de prise de conscience tardive pour cette jeunesse désenchantée, parvenue à l’âge qu’avaient ses parents dans le récit originel: le monde est toujours cette fête triste, une promesse dans un monde où personne ne tient jamais les siennes.
Comme seul sentiment vaguement réel, ne reste que la peur. Et fidèle à ses habitudes, Ellis en use avec abondance, s’amusant avec le lecteur en laissant toujours planer le même voile de mystère, la même frontière floue entre la "vérité" et les délires paranoïaques de son narrateur. Clay est-il vraiment suivi par des voitures depuis son arrivée à Los Angeles? Reçoit-il vraiment ces textos menaçants? Son appartement est-il fouillé en son absence? Cette vidéo de meurtre et de torture est-elle bien réelle ou truquée? Ces séquences d’une insoutenable cruauté sont-elles fantasmées par le personnage?
Bref, tout devrait être là dans ce septième roman: des procédés littéraires semblables à ceux du génial Lunar Park, la violence tenant du même commentaire social et humain que dans American Psycho, les faux-semblants aussi étourdissants que dans Glamorama et le style aussi pétrifiant que dans Moins que zéro.
Sauf que cette fois, le courant ne passe qu’à moitié.
Même si le génie dans le travail d’écriture est toujours là, et même si Ellis parvient encore à saisir le monde moderne (ici comment les nouvelles technos influent sur la nature même de nos rapports) avec une extraordinaire acuité, il y a quelque chose qui cloche et qui agace dans Suite(s) impériale(s), au point d’ennuyer – ici, vous aurez deviné que c’est un critique, mais aussi un fan un peu déçu qui parle.
Comme si ces procédés semblaient désormais plaqués, y compris l’hyperviolence, l’intensité du thriller ne dépassant pas l’intention, la peur et l’inquiétude demeurant en surface (contrairement à Lunar Park, qui commettait le tour de force de verser dans la satire et de faire frémir en même temps), et la volonté de faire de cet ouvrage un polar noir ne se concrétisant que dans l’opacité d’un récit qui nous place dans un état analogue à celui de Clay après qu’il s’est anesthésié à l’Ambien et à la tequila: pas très concerné par ce qui se passe, même quand l’horreur est à son comble.
Pour une rare fois, la magie noire d’Ellis opère mal, et sans elle, son récit vire parfois à la farce macabre.
Suite(s) impériale(s)
de Bret Easton Ellis
Éd. Robert Laffont, 2010, 234 p.
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Chuck Palahniuk, Jay McInerney