Salon du livre/Patrick Lapeyre : Ces hommes qui aiment trop
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Salon du livre/Patrick Lapeyre : Ces hommes qui aiment trop

Couronné du prix Femina, Patrick Lapeyre met le pied pour la première fois à Montréal avec La vie est brève et le désir sans fin, un roman sur un sujet vieux comme le monde – l’adultère et ses déclinaisons: perte, désir, attente -, investi à partir d’une perspective poétique et distanciée.

Mince cravate de cuir et Converse aux pieds, Blériot, un adolescent de 40 ans marié à une Parisienne mondaine et ambitieuse, s’éprend de Nora Neville, jeune demoiselle énigmatique liée à un businessman américain installé à Londres. À la lecture des 50 premières pages de La vie est brève et le désir sans fin, on se demande si l’on se trouve en présence d’un autre de ces romans libidineux dans lequel un homme d’âge mûr – souvent prof d’université – entreprend de tester ses charmes sur une jeunesse et de foutre sa vie en l’air.

Tranquillement on se laisse gagner par certains détails: dissection minutieuse des mouvements du coeur et des nerfs, éloquent sens de la métaphore, non-complaisance dans les scènes de couchette… Jusqu’à ce qu’on entrevoie l’engrenage dans lequel les personnages ont mis le doigt, la main et le corps tout entier. "L’histoire s’assombrit progressivement: au départ le ton est léger, ironique, puis on s’aperçoit que c’est un roman sur la catastrophe amoureuse", concède Patrick Lapeyre, joint à Paris.

La vie est brève… ne verse jamais dans le pathos ni le mélo; c’est là une des forces du bouquin, partout soulignée. "Je n’aime pas le genre de réalisme où des événements dramatiques coupent le souffle du lecteur, d’où ces petites phrases ironiques qui remettent les choses en perspective et rappellent qu’on est dans un roman et non dans un fait vécu. Chercher un équilibre entre l’émotion et cette légère distanciation est un exercice périlleux, mais je tenais à rester léger."

Vers emprunté au poète japonais Issa, le titre du septième roman de Lapeyre – titre à prix, diront certains – a l’avantage d’être sélectif. "J’avais été frappé par ces deux vers, qui m’avaient paru beaux et foudroyants. J’ai eu l’idée d’en faire un titre en me disant qu’ils annonçaient bien le programme du livre. C’est un titre qui sélectionne son lecteur; celui qui sera frappé comme je l’ai été par cette expression est fait pour lire le roman."

Selon le lauréat du Femina 2010, le jury féminin aurait été touché par la question du désir. "Cette histoire de deux hommes qui aiment une femme, c’est aussi l’histoire d’une femme dans le regard de deux hommes." Deux hommes courant à leur perte. La poursuite du désir est-elle toujours vouée à l’échec? "L’objet du désir risque en effet de décevoir, mais le désir lui-même est une force positive. Un enfant désire des choses avec une puissance et une intensité incroyables; après, en grandissant, notre désir se spécialise. Mes personnages ont préservé quelque chose de cette force aveugle qui nous traverse, et qui est simplement le courant de la vie qui nous porte. Proust disait très joliment qu’aimer une personne, c’est vouloir déplier les mondes qu’elle contient. Or, nous sommes limités à une vie, à une seule identité. De là naissent le désir et la tragédie qui s’ensuit."

La vie est brève et le désir sans fin
de Patrick Lapeyre
Éd. P.O.L, 2010, 344 p.

La vie est brève et le désir sans fin
La vie est brève et le désir sans fin
Patrick Lapeyre
P.O.L