Bertrand Gervais : L’homme qui n’était pas là
Comme dans un film des frères Coen, de Bertrand Gervais, nous transporte dans le sillage de… Gwyneth Paltrow.
Ne vous fiez pas tout à fait au titre de ce roman de Bertrand Gervais (Oslo, Gazole, L’Île des Pas perdus) puisque c’est davantage l’univers décalé de Wes Anderson que celui des célèbres frangins du Midwest qui a inspiré ce spécialiste de la littérature américaine contemporaine.
"J’ai toujours aimé faire des jeux de pistes dans mes romans, explique le professeur au Département d’études littéraires de l’UQAM. D’une part, on retrouve Gwyneth Paltrow et son propre univers, dont le film le plus important est The Royal Tenenbaums. Chaque fois qu’elle apparaît avec son doigt en bois, à la fois menaçante et étrangère, il s’agit de Margot Helen Tenenbaum. D’autre part, il y a Rémy Potvin, qui est une espèce de Barton Fink, en plus vieux, scénariste croyant pouvoir faire fortune à Hollywood. Donc, si on croise Gwyneth et Barton Fink, ça donne Comme dans un film des frères Coen!"
En pleine crise de la cinquantaine, le romancier Rémy Potvin, à ne pas confondre avec l’auteur du roman, a en travers de la gorge l’insuccès de son dernier roman-monde, Argyle Street, alors que son fils Alexandre, dit Andy Finnegan, conquiert le monde avec ses autoportraits en skater. Pour ajouter à ses malheurs, sa femme Carole le plaque, son rival Victor Tracas rafle le prix du Gouverneur général, tandis que son éditeur Hubert Gariépy se plaît à lui décrire les neuf queues, dont une pasolinienne, qu’il lui a attribuées lors d’une soirée arrosée de Black & Tan.
Et Gwyneth Paltrow dans tout cela? Celle-ci apparaît dès les premières lignes du récit sous la forme d’un GPS qui "parle trop" avant de réapparaître sous les traits d’Estelle A., modèle d’Alexandre, d’une poétesse se la jouant Sylvia Plath et d’une dénommée Élisabeth Poignard croyant être l’un des personnages d’Argyle Street.
"À l’exception de Carole, les scènes et les personnages sont inspirés de films dans lesquels a joué Gwyneth Paltrow. Par exemple, dans la scène où Rémy regarde Estelle sur DVD, je décris la scène de Great Expectations d’Alfonso Cuarón où Ethan Hawke fait des croquis de Gwyneth. J’avais la volonté de mettre beaucoup de Gwyneth sans que ça paraisse. L’idée, c’était de jouer avec le rapport imaginaire avec cette actrice-là."
Vous l’aurez deviné, malgré ses thèmes sombres, la peur de vieillir, de mourir, chers à l’auteur, Comme dans un film des frères Coen ne manque certes pas d’humour: "C’est une blague que j’ai faite à propos du GPS qui est à l’origine du roman et non pas une blague que j’ai insérée dans un projet romanesque. Après une vingtaine de pages écrites à la blague à propos d’un couple en Australie dont le GPS devient une pure potentialité du désir pour l’homme, je me suis rendu compte que j’avais un roman et, surtout, que j’avais trouvé un ton. Faire de l’humour implique un style, mais surtout une tonalité. Le ton a donc été maintenu tout au long du roman et je me suis beaucoup amusé. Je ne ferai pas que du roman drôle, mais ce ne sera certainement pas le dernier."
Comme dans un film des frères Coen
de Bertrand Gervais
XYZ éditeur, 2010, 216 p.