Philip Kerr : Une douce flamme olympique
De passage à Québec pour donner une classe de maître aux auteurs de la relève, Philip Kerr en a profité pour nous offrir une petite leçon d’histoire politique.
Le doigt d’honneur qu’envoie Philip Kerr dans notre direction pour appuyer son propos est éloquent. On y reconnaît sans peine l’insolence que l’auteur prête avec brio à son détective privé, Bernie Gunther, personnage principal de La Trilogie berlinoise.
C’est que Kerr, comme son alter ego, ne mâche pas ses mots lorsqu’il est question de ses compatriotes: "J’exècre l’idée que Londres reçoive les Jeux olympiques en 2012. Quelle absurdité! J’aimerais que nous puissions déchirer le contrat et que les politiciens déclarent: "Vous savez quoi, on est en récession. Remboursons plutôt nos dettes.""
Aujourd’hui établi en Angleterre, l’écrivain écossais se plaît ainsi à évoquer le côté sombre de l’Europe, dans ses romans comme en entrevue. "En Angleterre, nous sommes très rapides à juger les autres pays. Ce que nous avons oublié, c’est que nous avons commis en Inde des crimes semblables à ceux des nazis. Les Espagnols ont mis à sac l’Amérique du Sud, les Américains ont massacré les autochtones et les Russes ont tué pratiquement tout le monde. Les Allemands ont tout simplement été plus efficaces: ils font de superbes voitures, des machines à laver performantes et des génocides efficients", ironise-t-il.
Les romans de Kerr sont, au-delà de l’intrigue policière, des livres intrinsèquement politiques. Et son plus récent effort ne fait pas exception. Dans If the Dead Rise Not – dont la sortie est prévue en mars au Canada et en juin en traduction française -, Kerr s’applique à faire l’autopsie des Jeux olympiques de 1936 dans la capitale allemande.
"Berlin n’aurait jamais dû avoir la permission de tenir les Olympiques. Lorsque le comité des Jeux a visité la ville en 1934, il venait y enquêter sur la situation des Juifs. Or, dans son rapport est inscrit que tout se passait très bien. Si ça n’avait été de ça, il n’y aurait pas eu de Jeux à Berlin et ça aurait été très néfaste pour Hitler. Qui sait ce qui serait arrivé alors?"
Pour Kerr, l’apparat des Jeux est une véritable farce. "Il y a quelque chose de foncièrement totalitaire dans cette mascarade d’athlètes, dans la cérémonie de remise des médailles et bien entendu dans la flamme olympique, qui est d’ailleurs une invention de Goebbels. Il est surtout fasciste de gaspiller tant d’argent pour l’amusement et la glorification d’un pays", explique-t-il.
Après La mort entre autres et Une douce flamme, If the Dead Rise Not vient compléter une deuxième trilogie ayant pour décor la ville de Berlin sous le troisième Reich. Marché noir, espionnage, corruption et racisme, le chaos ambiant de l’Allemagne nazie est la toile de fond idéale des fictions de Kerr. "L’holocauste est fascinant. Les gens sont conscients qu’il s’agit d’un des événements les plus importants dans l’histoire et qu’il continue à affecter la vie de chacun."
Selon l’écrivain, le sujet est d’autant plus fascinant que la menace persiste: "Nous avons aujourd’hui à nous méfier de la montée du fascisme, surtout lors d’une crise financière. Quand les gens n’ont pas d’argent et sont au chômage, c’est alors qu’ils deviennent dangereux", conclura-t-il d’un air songeur.
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