Salon du livre / Franz Benjamin : Vision nocturne
Pour l’auteur et conseiller municipal Franz Benjamin, il n’y a pas étanchéité entre la vie et la poésie. L’une irrigue l’autre, de jour comme de nuit.
C’est l’un des secrets bien gardés de notre littérature. Un secret qui heureusement s’ébruite, au fil des livres et des lectures publiques. Ceux qui ont entendu Franz Benjamin au micro, lui qui fréquente beaucoup les tribunes dédiées à l’oralité, n’oublient plus cette voix posée mais habitée d’élans et de tensions. Ceux qui ont ouvert ses livres savent que, comme en témoigne son cinquième recueil, paru il y a peu chez Mémoire d’encrier, ses mots savent abolir l’espace et le temps: quand le lecteur y descend dans la bouche du métro Saint-Michel, il peut très bien ressortir en pleine canicule haïtienne, au temps de l’enfance.
Vingt-quatre heures dans la vie d’une nuit, chant d’amour et de désir, a pour cadre un fantasmatique mariage de Montréal et Port-au-Prince, la ville où le poète est né. "Ces deux villes ont longtemps été liées en moi, dit-il; maintenant ça va plus loin, elles sont jumelées en moi. Émile Ollivier avait cette belle phrase: "Je suis Québécois de jour et Haïtien de nuit!" Pour ma part, je dirais que plus ça va, plus je suis les deux, jour et nuit!"
Ici, la nuit est la matrice de toute chose. Les mots s’y boivent comme des alcools forts, les beautés du monde s’y préparent. "Au commencement était la nuit, rappelle-t-il. J’ai eu envie, dans ces textes, de prolonger la nuit, jusqu’en plein soleil. Pour que l’on voie ses fruits."
Inventer des mondes
Ce Montréal qui est devenu son chez-lui, Franz Benjamin ne le foule pas qu’en spectateur. Celui qui a présidé le Conseil interculturel de Montréal, de 2003 à 2008, et qui a été élu l’an dernier conseiller de la Ville dans le district Saint-Michel, a des idées pour la métropole. Idées qui ne sont pas étrangères à sa pratique littéraire. "Les poètes sont des inventeurs de mondes, oui, mais ils rêvent le monde à partir de leurs perspectives d’hommes. Dans le cadre de mes fonctions, je me préoccupe beaucoup des questions liées à l’enfance et à la liberté, par exemple. Dans ma poésie aussi, bien qu’avec d’autres outils."
Le Salon du livre de Montréal sera, pour Benjamin comme pour 16 autres auteurs réunis sous le pavillon "Solidarité Haïti" (stand 143), une autre occasion d’une rencontre entre l’écriture et les enjeux du monde actuels. Placées sous la présidence de Dany Laferrière, ces discussions feront écho, un écho modulé par les arts, au séisme du 12 janvier. "Ce sera un lieu d’échange, de découverte. Les Montréalais pourront entre autres y faire la connaissance du jeune poète et romancier Makenzy Orcel, l’un des grands espoirs de la littérature haïtienne."
Un effort parmi d’autres pour qu’à la nuit d’Haïti succède le jour.
Vingt-quatre heures dans la vie d’une nuit, suivi de Secousses
de Franz Benjamin
Éd. Mémoire d’encrier, 2010, 88 p.