Salon du livre / Jimmy Beaulieu : Au lit avec Betty et Veronica
Deux jolies filles dans une chambre de motel se racontent des histoires pour passer le temps. Les Mille et une nuits à la sauce Jimmy Beaulieu.
D’abord, la beauté des dessins nous frappe: les bleus de la couverture, les traits poudreux évoquant le rêve, les formes invitantes de Béatrice et Véronique qui sont des émules de Betty et Veronica. Elles sont si belles, les héroïnes de Beaulieu, qu’on sacrifierait volontiers une dimension pour profiter de ce trait de crayon amoureux. Puis on plonge dans leur univers, une nuit dans un motel au beau milieu de nulle part, en attendant quelqu’un ou quelque chose, on ne le sait pas tout de suite. Béatrice raconte une histoire de cyclope, puis Véronique enchaîne avec Mousseline, la superhéroïne qui rentre chez elle après une drôle de soirée. Les histoires se suivent et ne se ressemblent pas, sinon par le dénudement des personnages féminins et l’érotisme qui va de pair.
Après avoir longtemps obéi au réalisme, Jimmy Beaulieu explore ici une veine plus fantasmatique. Un tournant tout à fait délibéré. "Avant, je faisais vraiment de la bédé d’observateur, sur le mode autobiographique: avoir 30 ans à Montréal, etc. C’était vraiment de bon goût, et je le dis avec un peu de recul parce que pendant les dix premières années, j’essayais d’acheter des lettres de noblesse à mon moyen d’expression, j’essayais de convaincre le monde que la bédé pouvait être intelligente, artistique, alors je me gardais bien de faire des trucs risqués." Aujourd’hui, la bédé ne souffre plus de désamour. "Avec des auteurs comme Rabagliati, Guy Delisle, Marjane Satrapi, il y a assez de bons livres pour que les gens n’aient plus de préjugés." Beaulieu profite d’une nouvelle liberté: "Ça me permet d’être plus juvénile maintenant!"
Le travail en couleurs n’est pas étranger à cet enthousiasme renouvelé. "Je crois encore beaucoup au noir et blanc pour raconter des choses intimistes. En noir et blanc, le texte et l’image ne font qu’un, le texte est partie prenante de l’image. Tandis qu’avec la couleur, c’est plus charnel. Pour ce livre-là, je voulais avoir un rapport plus esthétique à la bédé, aller plus vers le spectacle." Le résultat fait penser à un film, un bon film, et c’est avec bonheur qu’on lit la postface dans laquelle l’artiste explique le contexte de création qui a vu naître À la faveur de la nuit. Les histoires avaient déjà été publiées dans différentes circonstances et il s’agissait de les regrouper, de les modifier parfois, et d’ajouter une trame. Les commentaires de Beaulieu, qui fut longtemps éditeur de bédé mais se consacre dorénavant au dessin et à l’enseignement du 9e art, nous donnent un prétexte idéal pour parcourir le livre à nouveau et apprécier le travail accompli.
Bref, c’est beau, c’est pulp, c’est violent, c’est sexiste aussi, parce que Beaulieu se surprend à dessiner toujours "des hommes en train de souffrir et des filles de bonne humeur". Mais l’honneur est sauf car surtout, c’est de l’art.
À la faveur de la nuit
de Jimmy Beaulieu
Éd. Les Impressions nouvelles, 2010, 109 p.