Après des siècles de littérature, des décennies de films, après le Mur, les mythes autour de l’impitoyable mafia russe et les biceps de Poutine, il faut bien admettre que nous, Occidentaux, n’avons pas encore compris l’âme russe. Dans son Nouvel Abécédaire russe, la journaliste moscovite Katia Metelizza obéit à notre curiosité et livre 26 tranches de la vie quotidienne dans le plus grand pays du monde.
Dans le chapitre « Eau chaude », on apprend que chaque année, les Moscovites subissent, « pour des raisons prophylactiques« , la Grande Coupe annuelle d’eau chaude. Pendant un mois, chacun doit faire preuve d’une inventivité folle s’il veut se ramollir les chairs; fiers de cet exploit, les Russes ne sont pas dupes pour autant: qu’en est-il de la douche du président? Avec « Orientation topographique » Metelizza explique que l’orientation constitue un véritable défi dans la capitale: « la numérotation laisse à désirer » et les rues en équerre relèvent de la tradition. « Une phrase typiquement moscovite: Et maintenant expliquez-nous comment vous trouver! » D’autres chapitres concernent le « Saint Saucisson », le « Réfrigérateur », le « Hareng salé » et le « Bol de soupe », comme quoi l’amour de certains aliments relève moins de la préoccupation que d’un véritable fétichisme. Il suffit de lire l’article « Nostalgie » pour se convaincre que le rapport trouble des Russes aux objets du passé vient des dures années vécues sous le régime. En choisissant les 26 thèmes, l’auteure affirme d’ailleurs avoir voulu « rétablir la continuité, jeter une passerelle par-dessus le gouffre qui sépare l’URSS de la Russie postsoviétique« . Un difficile travail de mémoire quand on considère que « les repères de l’ancienne vie ont disparu en Russie aussi rapidement que les boîtes de conserve made in RDA des rayons des magasins dans Goodbye Lénine! ». En somme, l’accumulation des souvenirs peut finir par lasser, comme un rêve raconté en détail, mais le ton rigolo rachète la mise. Et puis on lit entre les lignes que l’ambivalence constante, le romantisme et une sensibilité mal assumée sont peut-être les marques de cette âme qu’on cherche à mieux connaître.
Nouvel Abécédaire russe
de Katia Metelizza
Éd. Les Allusifs, 2010, 161 p.