Pierre Yergeau : Writing in L.A.
Dommage pour Bret Easton Ellis, mais il se pourrait bien que le roman le plus intéressant prenant pour décor Los Angeles paru cet automne soit celui du Québécois Pierre Yergeau.
D’abord, la ville de L.A.: "ce désert existentiel" où des pavillons "peinturés des couleurs délavées du paradis" côtoient de "grosses Jeep et de vieilles Buick Impala abandonnées au coin des rues". Situer l’action dans cette ville n’est jamais anodin: elle exerce immanquablement son influence déliquescente sur le récit. Fante, Bukowski et Ellroy n’y ont pas échappé. Pierre Yergeau non plus.
Les personnages qui animent Conséquences lyriques n’auraient pu exister ailleurs: un ex-mannequin qui court les enterrements, un obsédé des extraterrestres, une mère obèse morbide, Barbara l’alligator qui parle, des immigrants illégaux, et nombre d’autres personnages tenus à l’écart des roulottes de tournage. À la manière d’une ribambelle, tous ces personnages d’égale envergure se touchent et c’est la succession d’univers qui fait progresser l’intrigue.
Roman polyphonique certes, mais traversé par la voix d’un écrivain québécois atterri dans la Cité des Anges pour scénariser l’adaptation de son roman, Lyrical Consequences. Par lui, les frontières entre réalité et fiction se brouillent: "J’ai rencontré la plupart des personnages et moi-même j’ai joué un rôle auquel je ne m’attendais pas dans cette histoire. Je l’ai d’ailleurs déjà écrit: on ne sait jamais quand on va tomber dans l’histoire de l’autre." C’est à se demander si on peut comprendre quoi que ce soit au monde qui nous entoure. "Toute chose a des liens avec d’autres et c’est là le problème. Il suffit de chercher avec un peu d’acharnement un lien entre deux phénomènes pour le trouver. Les fous, les physiciens, les policiers et les résidants des asiles psychiatriques sont très habiles à ce jeu."
Cela dit, Conséquences lyriques demeure une lecture parfaitement accessible et évite de sombrer dans l’énigme. Les nombreuses références à la culture populaire américaine (le base-ball, Céline Dion, John Wayne) et le ton sourire en coin de l’auteur ajoutent au plaisir. Le huitième roman de Yergeau remporte haut la main son pari: ajouter du neuf dans le paysage pourtant très fréquenté de L.A.
Conséquences lyriques
de Pierre Yergeau
Éd. Québec Amérique, 2010, 338 p.