Revue 2010 / Livres : Si la tendance se maintient
Pendant que le milieu du livre a poursuivi son adaptation aux réalités du numérique, auteurs et éditeurs ont mesuré combien étaient frêles les acquis des dernières décennies.
Il y a 12 mois, je signais un bilan de l’année littéraire consacré en bonne partie au livre électronique. Engin dont je soulignais qu’il était présent dans les esprits et les préoccupations beaucoup plus que dans le sac à dos des lecteurs.
En 2010, bien que les liseuses (Kindle d’Amazon, Reader de Sony…) ne fassent pas encore partie de l’attirail de base de l’homo bouquinus, les choses ont bien bougé. L’idée de feuilleter des pages électroniques choque de moins en moins de monde et fait de plus en plus d’adeptes. En raison, il faut le dire, de la très attrayante tablette iPad (permettez d’ailleurs à votre humble chroniqueur de redire ce qu’il a toujours dit: on a beau être dans la sphère de la littérature et de la pensée, il n’y aura un réel mouvement populaire vers le livre électronique que le jour où il deviendra réellement excitant comme objet).
L’iPad n’est pas une liseuse proprement dite et tous ceux qui ont palpé les modèles plus haut mentionnés conviendront qu’on trouve mieux en termes de confort de lecture, mais il aura contribué à précipiter le mouvement: les gens s’y essaient à la lecture sur écran et, en dépit de la nostalgie du papier, de ses bruits et de ses odeurs, trouvent l’expérience pas mal du tout.
Futur proche
Les éditeurs, eux, jouent de moins en moins à l’autruche. L’année a d’ailleurs été marquée par une rafale d’annonces liées à la numérisation des titres. Début mars, les Librairies indépendantes du Québec (LIQ) prenaient clairement le virage en offrant, sur le site transactionnel livresquebecois.com, tous les livres d’éditeurs québécois disponibles sous forme numérique. Ce qui représentait alors 1400 titres, un chiffre qui explose depuis.
Fin juin, les seules Éditions Hurtubise rendaient disponibles en format numérique plus de 140 livres… Peu après, La courte échelle mettait en vente les versions électroniques du nouveau polar de Chrystine Brouillet et de plusieurs autres nouveautés.
En septembre, Dimedia annonçait qu’une douzaine des éditeurs représentés par le distributeur (entre autres Les 400 coups, Boréal, L’instant même, Le Quartanier et Septentrion) proposaient désormais quelque 700 titres numérisés.
En parallèle, les activités de réflexion se multiplient. On pense par exemple au premier BookCamp Montréal, tenu le 26 novembre, une "anticonférence" des plus démocratiques (les participants décident eux-mêmes, le matin, de l’horaire de la journée) portant sur les enjeux du livre et du numérique.
Comme dirait l’autre, si la tendance se maintient…
Se serrer les coudes
Autre temps fort de l’année: la création, cet automne, du Groupement des éditeurs littéraires (GELi). Fondé par Arnaud Foulon, Antoine Tanguay et Gilles Herman, respectivement des éditions Hurtubise, Alto et Septentrion, le GELi se donne pour mission de promouvoir le livre "littéraire", ou "culturel", dans un monde éditorial où il a souvent du mal à trouver sa place au milieu des beaux livres, des manuels de cuisine ou des guides de croissance personnelle.
Plusieurs ont emboîté le pas depuis. Aujourd’hui, le GELi représente 26 éditeurs faisant front commun pour défendre la littérature auprès du public, des médias et des institutions gouvernementales.
Note encourageante pour eux: la belle trajectoire cette année de certains livres littéraires, justement. À commencer par celle, exceptionnelle, de Ru. Paru en 2009, le premier roman de Kim Thuy a continué de séduire ici comme ailleurs, récoltant les honneurs (Grand Prix RTL-Lire en France, Prix du Gouverneur général ici…) et la ferveur populaire, si bien qu’on parle aujourd’hui d’un tirage mondial de 100 000 exemplaires.
Soulignons aussi l’excellent premier roman de Perrine Leblanc, intitulé L’homme blanc, qui a valu à son auteure l’important Grand Prix du livre de Montréal et a profondément convaincu la critique. Autre belle surprise, le premier roman, encore là, de la cinéaste Anaïs Barbeau-Lavalette. Dans un style brut, infiniment juste, Je voudrais qu’on m’efface raconte les espoirs et les déboires de trois jeunes du quartier Hochelaga-Maisonneuve.
De son côté, Louis Hamelin nous donnait une lecture profondément originale des événements d’Octobre 1970 avec La constellation du Lynx, sans conteste l’un des grands moments de l’année.
Que nous réserve la cuvée 2011? Bien malin qui pourra le dire, la science littéraire étant, c’est là sa beauté, tout sauf une science exacte!
Flip /
Le nouveau festival Québec en toutes lettres. Dédié cette année à l’Argentin Jorge Luis Borges, ce grand rendez-vous littéraire a toutes les chances de s’implanter dans le décor de la capitale.
Flop /
La nonchalance dont font preuve les ministres James Moore et Tony Clement à l’égard de tout ce que va bouleverser la loi C-32, en particulier pour les écrivains, leurs droits et les redevances qui les aident à vivre un peu moins mal.
Top 5 /
1. La constellation du Lynx de Louis Hamelin (Boréal)
Fruit de dix ans de recherche, ce roman propose une lecture intelligente et colorée de la crise d’Octobre.
2. Je voudrais qu’on m’efface d’Anaïs Barbeau-Lavalette (Hurtubise)
En suivant trois jeunes mis trop tôt en contact avec la violence, la prostitution et la drogue, l’auteure jette une lumière crue sur certaines rues de Montréal.
3. Manuel de poétique à l’intention des jeunes filles de Carole David (Les Herbes rouges)
En mêlant sa voix à celles d’Emily Dickinson ou de Camille Claudel, Carole David montre les chemins sur lesquels s’est forgé son imaginaire. Superbe.
4. L’homme blanc de Perrine Leblanc (Le Quartanier)
Portrait d’un homme né dans un camp de travail de Sibérie, ce roman porté par une narration économe place Perrine Leblanc parmi les voix les plus prometteuses de notre littérature.
5. Les larmes de saint Laurent de Dominique Fortier (Alto)
Triptyque ambitieux mais parfaitement maîtrisé, le nouveau roman de l’auteure du Bon usage des étoiles confirme tout le bien qu’on pensait d’elle.