Pierre Chatillon : La vie, la vie
Livres

Pierre Chatillon : La vie, la vie

Avec À vol de mots, le poète Pierre Chatillon se réconcilie avec la mort et réveille de beaux fantômes.

Depuis une dizaine d’années, Pierre Chatillon passe tous ses hivers à Anna Maria, une île tranquille de la Floride qu’il a découverte au moment d’écrire La mort rousse, il y a 30 ans. Inspiré par l’air salin et les paysages marins, il en revient toujours les valises pleines de musiques et de poèmes. Son tout dernier recueil, À vol de mots, résulte d’ailleurs de ses longues promenades sur les plages de ce lieu paradisiaque en bordure du golfe du Mexique.

Parsemé d’images évoquant l’automne et le cosmos, ranimant de vieux fantômes, À vol de mots prend des allures de bilan. "À l’âge que j’ai, je peux survoler ma vie. C’est un bilan, c’est sûr. Ce n’est pas le premier, mais ce n’est pas le dernier non plus", avertit le poète qui célébrera son 72e anniversaire le 6 janvier. "J’explore ici les espaces comme si je cherchais les disparus. Où est-ce qu’ils sont rendus? Quelle sorte de vie mènent-ils? N’importe qui se pose ces questions, mais personne ne trouvera jamais de réponse. Alors, j’essaie d’inventer une réponse qui a du bon sens. Mais ce n’est pas fait de façon dramatique ou catastrophique. C’est très doux quand même. Je revois ma mère, mon père. Et c’est comme si j’inventais des morceaux d’eux qui sont dans les feuilles, dans le bois; comme s’ils continuaient à vivre autour de moi dans la nature, dans la brume, dans l’eau, un peu partout." En fait, le regard que l’écrivain pose sur le sablier de la vie est si tendre qu’il apaise du coup cette peur de vieillir. "Il y a une sérénité et un apprivoisement de la mort dans ce livre-là. C’est peut-être le thème majeur de celui-ci. La mort, c’est quelque chose qui m’angoissait beaucoup plus quand j’étais jeune que maintenant. C’est curieux, hein? Quand on a vu mourir beaucoup de gens – nos parents, nos amis, etc. -, il y a une sorte d’apprivoisement. Ça devient beaucoup plus normal."

Malgré tout, quelques poèmes d’À vol de mots laissent croire que le Centricois craint que, comme le vent balaie nos traces de pas dans le sable, son passage sur terre soit un jour oublié. "Qui n’a pas peur de ça? C’est pour ça que les gens se dépêchent à faire des enfants, pour qu’ils gardent leur nom et qu’ils les prolongent. Il n’y a pas d’autre motivation dans la vie que de laisser quelque chose. On ne veut pas disparaître à tout jamais. C’est épouvantable, le néant. Alors, c’est sûr qu’on veut laisser quelque chose. Et de la poésie, c’est une très bonne chose à laisser parce que c’est l’une des choses qui durent le plus longtemps. Je disais ça à mes étudiants autrefois: les gros murs de civilisations sont tout détruits, mais il reste des poèmes qui datent de 5000 ans. Comment ont-ils fait pour perdurer jusqu’à aujourd’hui? C’est fragile quand même, mais ça dure beaucoup dans la mémoire."

Ainsi, en ayant mis sur pied le parc littéraire à Nicolet, en composant de la musique et en écrivant, Pierre Chatillon ne souhaite qu’une chose: "Je me suis dit que c’était ça mon but dans la vie: de transformer des choses où il n’y a rien et de laisser quelque chose qui est beau pour les générations futures. Ça, c’est mon plus grand rêve. Il y a tellement d’horreurs et de laideurs sur la terre que je ne veux pas en ajouter. Quand je partirai, je voudrais que les gens disent: "Il a laissé quelque chose de beau"."

À vol de mots
De Pierre Chatillon
Éd. Henry et Écrits des Forges, 2010, 102 p.

À vol de mots
À vol de mots
Pierre Chatillon
Écrits des Forges;Éditions Henry