Zviane : En eaux profondes
Zviane signe une bande dessinée au propos délicat et tout en retenue, marquant une nouvelle étape dans son approche graphique et littéraire.
Après ce qui semble avoir été un épisode dépressif, une jeune femme, ancienne étudiante en musique ayant abandonné ses ambitions pour la recherche, reprend son emploi dans une société de concerts. À ses interrogations existentielles se mêle un sentiment de paranoïa, cause de profondes souffrances: "Qu’est-ce qui fait qu’un jour, tu te réveilles et tu t’aperçois que ta vie n’a aucune cohérence, aucune pertinence? Que tu n’as aucune valeur? Que tout le monde qui gravite autour de toi se fout de toi? Ou pire, qu’ils médisent de toi." Se sentant "mieux", même si pas tout à fait "bien", Sophie a dorénavant l’énergie nécessaire pour accomplir tous les gestes quotidiens commandés par le rôle qu’elle joue dans le monde, mais le mal-être persiste…
Pour inaugurer sa maison d’édition consacrée à la bande dessinée québécoise, Luc Bossé a eu la bonne idée de recruter Zviane, jeune bédéiste, auteure de plusieurs albums (La plus jolie fin du monde, Le quart de millimètre, Le point B) créés pour la plupart sur son blogue où l’on retrouve maintenant les aventures de L’ostie d’chat qu’elle cosigne avec sa collègue Iris. Moins légère et humoristique que ses oeuvres précédentes, Apnée nous convie dans les méandres d’une âme tourmentée, en inadéquation avec son environnement et atteinte d’une préoccupation obsessive quant au regard des autres. Le livre, réalisé en noir et blanc avec un ton de gris, explore avec force et finesse les motifs de l’isolement et de la plongée au coeur de soi-même.
L’intérêt que soulève le propos tout intérieur de Zviane est en bonne partie dû au fait qu’il se déploie sans aucun discours psychologisant, sans tentative explicative de remonter aux causes du mal qui habite sa narratrice. À ce texte tout en nuance, d’un lyrisme jamais bavard, correspond un graphisme simple, une ligne claire d’une belle précision, où se manifeste l’art de l’ellipse, la succession des vignettes rappelant par moments certains mangas d’ambiance de Jirô Taniguchi. Et c’est sans compter la présence épisodique de la musique qui s’exprime ici (comme dans toutes les oeuvres de Zviane) sans le recours aux mots, par la vigueur de son propre langage.
Apnée
de Zviane
Éd. Pow Pow, 2010, 88 p.