Tom Rachman : Ces tarés magnifiques
Dans Les imperfectionnistes, Tom Rachman démolit le mythe du reporter téméraire en croisade au service du public, tandis que le navire médiatique coule à pic. Chronique d’une mort annoncée.
De ses années passées à l’International Herald Tribune, Tom Rachman garde un souvenir amer du métier de journaliste. Un peu comme son personnage Winston Cheung, un jeune pigiste affecté au Caire qui enquête sur la vie sexuelle des extrémistes islamistes (!) et subit les humiliations de ses collègues, l’ancien correspondant a fait ses armes en Égypte, accumulant les frustrations qui viennent avec les boulots appris sur le tas. Toutefois, pas d’autofiction pour l’écrivain canadien, qui puise plutôt dans une abondante source d’inspiration: "J’avais déjà imaginé ces personnages, mais j’avais besoin d’une mise en contexte qui les relie. Or, le décor que je connaissais le mieux était celui de la salle de presse. Une fois que je leur ai donné des rôles dans un quotidien, les personnages ont commencé à prendre certains caractères archétypaux de l’emploi."
Ces personnages, ce sont 11 employés d’un journal anonyme basé à Rome, tous plus pathétiques les uns que les autres, angoissés à l’idée de perdre leur emploi et accusant les petits mélodrames comme autant de faits divers en dehors de la salle de rédaction. Prenez Lloyd, un correspondant sexagénaire dont la carrière est en chute libre et qui, dans un ultime effort pour sauver sa peau, décide de faire passer son fils pour un expert dans un article sur la bande de Gaza. Ou l’éditeur Oliver Ott, probablement le plus névrosé du roman, qui a hérité de l’entreprise fondée par son grand-père dans les années 1950 et qui se retrouve en charge de son destin, alors que la seule et unique chose qui le préoccupe est un basset nommé Schopenhauer. La rédactrice en chef est cocue, la correctrice est convaincue que tout le monde la déteste (avec raison) et ainsi de suite. "Mes parents sont tous les deux psychiatres alors j’ai été influencé par leur manière d’aborder les autres. Tout au long de mon enfance, j’étais énormément préoccupé par les motivations des gens, animées par leurs désirs et leurs ambitions. L’être humain est une espèce sociale. Ce qui me fascine, ce sont leurs interactions."
Du coup, ce qui ressort du roman de Rachman, ce n’est pas tant le commentaire attendu sur l’état de la presse écrite, mais plutôt une analyse d’un égocentrisme typiquement humain. "Les drames un peu vulgaires que ces employés affrontent sont autrement plus importants à leurs yeux que les guerres et les conflits internationaux qu’ils sont chargés de couvrir", ironise l’auteur, qui pose un regard cynique sur le monde, pour notre plus grand plaisir.
Les imperfectionnistes
de Tom Rachman
éd. Grasset, 2011, 396 p.
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Les petits soucis qui assaillent les personnages de Tom Rachman, des paumés qui longent les murs de la salle de presse la tête basse, sont amplifiés par la précarité d’une industrie en crise. Bien que chaque chapitre des Imperfectionnistes s’articule autour d’un personnage différent et pourrait facilement être considéré de manière individuelle, l’ensemble du roman est de loin supérieur à la somme de ses parties. Le cynisme de Rachman, son humour tout comme la finesse de son écriture donnent à lire une première oeuvre magistrale, à la fois hilarante et crève-coeur.