Marie-Christine Arbour : Troisième sexe
Dans son troisième roman intitulé Drag, Marie-Christine Arbour évoque la formation d’un couple entre une androgyne et un travesti. OEuvre puissante où se confondent féminin et masculin, beauté et laideur, affirmation et négation de soi.
Le jour où elle est devenue adulte, Claire a entrepris d’effacer en elle les traces de sa féminité. Cheveux courts, vêtements larges, chemisier, cravate: la jeune artiste peintre désirait rien de moins que "reformuler son corps, comme on simplifie une équation d’algèbre". Les années passant, Claire mène une existence relativement pauvre et solitaire jusqu’à ce qu’elle fasse connaissance avec sa voisine de balcon, sorte de matrone russe coiffée d’un chignon et vêtue d’une robe noire, aux hanches trop étroites et aux trop longues jambes. Celle que Claire nommera intérieurement Babouchka est en réalité Nicolaï, musicien en exil qui, une fois devenu son amant puis sa muse, jouera un rôle de premier plan dans son oeuvre.
Sans jamais verser dans l’ode à la marginalité ni se soucier d’opposer celle-ci à une opinion publique réactionnaire, Marie-Christine Arbour explore subtilement la question des rôles sexuels à travers le couple formé par Claire et Nicolaï, personnages en mode survie sur tous les plans, mais notamment dans leur quête d’identité échappant à toute normalité. Cette même normalité, à la fois repoussoir et archétype inatteignable, hantait d’ailleurs l’héroïne de son roman précédent (sublime Une mère) où se profilait également l’échec de la maternité, de la famille nucléaire et d’un certain idéal bourgeois que l’on retrouve en germe dans Drag.
Avec ses personnages d’une belle complexité, ratés de la société qui finissent par "se ranger du côté de la vie", Arbour poursuit également une réflexion sur le corps, ce "pays à déserter" dans un monde où il y a trop de sens et pas assez de mystère. C’est ce qu’enseigne à Claire Nicolaï avec "son corps fait pour le scandale", la transsexualité des héros leur servant entre autres à appréhender le monde, car "si on ne peut échanger les sexes, on peut en revanche intervertir les rôles". Le lien amoureux n’en est pas moins remis en question ici, la marginalité n’offrant aucune garantie à sa durée. Claire et Nicolaï savent bien que, comme tous les autres, leur couple demeure voué à l’étiolement, le sentiment amoureux ressemblant, selon la cruelle expression de l’auteure, à "un papier qui se froisse" avec le temps…
Drag se compose de ces phrases courtes, de ce style syncopé et aphoristique que l’on pouvait déjà apprécier dans les romans précédents de Marie-Christine Arbour. Un style qui, loin de céder à la facilité ou à un effet de mode, tient davantage au souci d’exigence de l’écrivaine sur le plan formel, chaque mot semblant ici longuement pesé, à la manière du travail poétique.
Drag
de Marie-Christine Arbour
Éd. Triptyque, 2011, 183 p.