Festival Voix d’Amériques : Délinquance textuelle
Entre poésie transgressive et ambiances survoltées, la 10e édition du Festival Voix d’Amériques aura lieu du 11 au 18 mars dans quatre salles montréalaises. Gros plan sur un événement devenu incontournable.
D’abord, jeter un coup d’oeil dans le rétro, et saluer bien bas! Car dix ans de FVA, c’est déjà un exploit en soi. Comprenez: réussir à porter à bout de bras, comme le font D. Kimm et ses Filles électriques depuis 2003, un festival underground de poésie performée relève tout simplement du tour de force. Mais à voir ce qu’elles en ont fait, et la liste ébouriffante des artistes qui s’y sont succédé, on se frotte carrément les yeux.
"C’est l’histoire d’une connivence qui s’est installée entre le Festival, les artistes et le public, commente D. Kimm, artiste protéiforme et directrice artistique du FVA. Chaque année, ils acceptent d’embarquer dans mes folies." Cette année encore, les artistes sont nombreux à avoir répondu présent. À commencer par ses deux invités d’honneur, la rockeuse montréalaise Melissa Auf der Maur et le conteur Michel Faubert. "On a voulu se faire un cadeau pour la 10e en réunissant non pas un mais deux invités qui représentent chacun un pôle de ce que proposent Les Filles électriques. Michel avec le spoken word, parce que c’est de là qu’on vient, et Melissa avec les nouvelles technologies, parce que c’est là qu’on s’en va." Et pour couronner le tout, les deux artistes marient à merveille rock et poésie.
Audace et éclectisme
Pour Michel Faubert, qui côtoie le Festival depuis 2003, c’est à la fois un honneur et une pression énorme. "Quand tu vois tout ce qui a été fait depuis le début, tu te demandes comment faire pour être à la hauteur", confie-t-il. Ce samedi à la Sala Rossa, le conteur se transformera en troubadour électrique le temps d’un spectacle de Spoken métal en compagnie du groupe Voivod et de DJ Ram. "Voivod vient avec ses ambiances sonores, moi avec mes histoires, et on mélange le tout dans une atmosphère mystérieuse et fantasmagorique."
Une soirée à l’image du FVA en somme, où se marieront les arts, les ambiances et les genres. Car selon D. Kimm, l’éclectisme est le meilleur moyen d’aller chercher les gens, de créer une émotion. "Depuis toujours, on cultive la rencontre et l’interdisciplinarité, on veut en donner pour tous les goûts, et que chaque spectacle soit une flèche lancée dans le coeur du spectateur." Et tant pis si ça pique parfois, "notre volonté est de faire plaisir sans jamais chercher à plaire", nuance-t-elle, rejointe par Michel Faubert pour qui ne pas chercher à séduire est une question d’intégrité. "On monte sur scène avec ce que l’on est, et on s’offre au public tel quel, quitte à prendre le risque de déplaire."
C’est cette audace et ce goût du risque qui ont aussi séduit Éric Bernier: "Les artistes acceptent de se commettre, de sortir de leur confort, chaque spectacle est comme un plongeon dans l’eau bouillante." Dimanche, le comédien jouera les effeuilleuses dans une soirée au titre évocateur de Maison close. Chorégraphié par Catherine Tardif et mis en musique par Michel F. Côté, le spectacle abordera la question de l’intime et du dévoilement de soi dans un monde où la nudité n’a plus rien de subversif. "Ça fait du bien de voir des gens qui refusent la démagogie et prônent l’irrévérence, soutient Éric Bernier, c’est en cela que le FVA est un lieu unique." "Unique dans tous les sens du terme", renchérit D. Kimm, qui ne cache pas sa fierté en expliquant que la plupart des spectacles à l’affiche ont été créés spécialement pour le FVA.
Révélation tranquille
Temps fort incontesté du Festival, le septième Combat contre la langue de bois aura lieu le 17 mars. Selon Éric Bernier, "c’est un espace de liberté aussi rare que précieux" à l’heure où la parole politique, médiatique et parfois même artistique verse sans retenue dans le politiquement correct. "Les gens veulent qu’on leur dise de vraies affaires, ils ont besoin d’entendre un discours qui ne soit pas formaté." La preuve? Cette année, le Combat a dû déménager à La Tulipe parce que la Sala Rossa ne suffisait plus à accueillir tous les spectateurs. Une autre fierté pour D. Kimm, qui y voit la preuve que le FVA se fraye un chemin dans le paysage culturel montréalais.
Autre signe qui ne trompe pas, la présence parmi les combattants – excusez du peu! – de la députée péquiste et ancienne ministre Louise Beaudoin. "Je n’ai jamais assisté au Combat contre la langue de bois, mais on m’en a beaucoup parlé pour son côté original et percutant", confie la députée de Rosemont. On le sait, la langue de bois est la langue quasi officielle de la politique, mais cette dernière a tendance à se généraliser, selon Mme Beaudoin: "Nous vivons à l’ère du commentaire permanent, on est censé s’exprimer sur tous les sujets en temps réel, on commente sur tous les fronts. Mais ce qu’on a gagné en largeur, on l’a perdu en profondeur. Le Combat contre la langue de bois est salutaire car il crée les conditions d’une parole vraie et réfléchie."
C’est une des raisons pour lesquelles l’ancienne ministre a tenu à soutenir le FVA. "À ma petite échelle, j’ai voulu essayer d’encourager le Festival parce qu’il est indispensable que ce type d’événement existe, et je sais combien il est difficile de faire sa place dans le foisonnement culturel montréalais." Il faut dire que les investisseurs ne se bousculent pas à la porte du FVA qui, tant par nature que par volonté, ne rentre dans aucune case. Qu’importe, le public, lui, ne s’y trompe pas, il continue de plébisciter le Festival. Et ce n’est pas fini, promet D. Kimm, pour qui "ça va être de plus en plus difficile de faire comme si on n’existait pas". Quelque chose nous dit que cette 10e édition va lui donner raison.
DEMONS ET MERVEILLES
Le FVA s’ouvrira avec le spectacle de Melissa Auf der Maur, spécialement conçu pour l’occasion et dans lequel l’ancienne bassiste de Hole et The Smashing Pumpkins nous convie à un voyage où l’on croisera démons et merveilles. Le lendemain, on poursuit avec Michel Faubert à la Sala Rossa. Suivront, entre autres, une lecture de Claude Guerre, une soirée intitulée New York Temptation réunissant en trio Anne Waldman, Penny Arcade et Bob Holman, et le spectacle Dans la forêt III, mettant à l’affiche Robin Aubert, Maxime Catellier, Marc Séguin et Louis-Karl Picard-Sioui. Le 18 mars, le Cabaret Dada Freak Show, sous la houlette du maître Laszlo Kolozsy, clôturera en beauté le Festival. S’il faut souligner que tous les grands spectacles sont à 10 $, notons aussi que le FVA propose chaque jour des spectacles gratuits: les 5 à 7 band + poésie feront s’entrechoquer musique et poésie au Divan Orange et les Shifts de nuit, à la Casa del Popolo, proposeront des spectacles indociles et débridés suivis de sessions Micro ouvert où pourront s’essayer les amateurs. La programmation complète à www.fva.ca.