Marie Clark : Sortir de l'écran
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Marie Clark : Sortir de l’écran

Marie Clark adopte la voix d’un adolescent en quête de nouveaux repères dans un troisième roman réussi: Mémoires d’outre-Web.

Cancre hyperactif et dyslexique issu d’une famille éclatée, Benjamin a trouvé refuge dans l’univers des jeux vidéo, et plus particulièrement dans War of Worldcraft où, sous le nom de Chevalier Benj, il dispose de tout un lot d’alliés et d’armes pour se défendre, lesquels lui font cruellement défaut dans la réalité… Lorsqu’il apprend le suicide de sa meilleure amie, l’adolescent traverse une crise qui l’incite à abandonner école et famille, voire à laisser se faire tuer son avatar virtuel en direct, au grand dam des internautes admirateurs de ses prouesses. Obéissant à l’appel de la rue, Benjamin verra la ville s’ouvrir à lui dans toute la complexité d’une dynamique non manichéenne, si différente de celle du virtuel. Son errance urbaine le conduira donc notamment à la soupe populaire où le mène son ami Jack, itinérant d’expérience, et dans un centre d’injection supervisée en compagnie d’Audrey, une jeune prostituée.

Reprenant son personnage qui était âgé de huit ans dans Mes aventures d’apprenti chevalier presque entièrement raté, Marie Clark poursuit une réflexion sur l’influence du Web dans nos vies contemporaines tout en se renouvelant sur le plan romanesque. Benjamin s’entoure quant à lui de nouveaux amis, parmi lesquels Iphi-Génie, une enfant à la "moue de vieillarde" et Divine-Soleil, en qui il reconnaît celle que, sous le pseudonyme d’Ilsole, il a sauvée maintes fois du danger dans leur espace virtuel déserté. Initié aux paradis artificiels par les "damnés de la rue" et les "orcs à poudre", le garçon parviendra à ne pas sombrer, se rendant compte que, dans la vie, les bons ne sont pas nécessairement victorieux et les méchants, pas nécessairement défaits, "les rôles s’interpénétrant, ce qui est pas mal moins glorieux, mais finalement plus réaliste".

Partant d’un sujet à la mode qui aurait pu se prêter à toutes sortes de traitements plus ou moins heureux – cette opposition entre un monde virtuel comme lieu de refuge et une réalité où l’être humain se remet en question -, Marie Clark tire manifestement son épingle du jeu. La beauté de son livre réside en bonne partie dans le portrait et le langage imagé de ce héros en quête de sens dont la narration peut rappeler celle des adolescents d’un Salinger ou d’un Sylvain Trudel. Alimenté par les dialogues entretenus avec le "DieuWeb", Benjamin finira par préférer l’inconfort de la "vraie vie" malgré le tragique quasi insurmontable de la condition humaine, ne parvenant pas, au final, à trouver "le répit final vivant à la souffrance de la mort".

Mémoires d’outre-Web
de Marie Clark
Éd. Hurtubise, 2011, 125 p.

Mémoires d'outre-Web
Mémoires d’outre-Web
Marie Clark
Hurtubise